Quelques réflexions sur le projet de Loi relatif au dialogue social (Partie CHSCT)
La question des conditions et de la santé au travail constituent depuis quelques années un thème de préoccupation majeur pour les organisations syndicales et autres IRP.
La dégradation croissante des conditions de travail explique cette tendance, et résulte elle-même de stratégies et de techniques de management mises en œuvre progressivement :
- Tendance à l’individualisation de la relation de travail, et donc du contrat de travail, avec fixation d’objectifs à atteindre individuellement au détriment des objectifs collectifs
- Fixation d’objectifs individuels au détriment d’objectifs de la structure
- Souci permanent d’augmenter la rentabilité et l’efficience.
- Introduction de systèmes d’évaluation des salariés partant parfois de critères subjectifs (appréciation sur le « courage » du salarié évalué par exemple), demande d’appréciations sur les autres collègues de travail, mise en concurrence des salariés entre eux, introduction d’un véritable système de délation, etc. ; systèmes d’évaluation souvent remis en question par les juridictions.
- Introduction de méthodes d’évaluation (méthode « Lean » notamment), dont la seule finalité est d’augmenter la rentabilité au détriment de la dimension humaine et du respect de la personne du salarié.
Cette méthode a été introduite y compris dans les services publics.
Tout cela a conduit à des situations dramatiques ; les suicides à Renault ou à France Télécom en ont été les illustrations les plus connues et les plus médiatisées.
Face à cette situation, les CHSCT se sont retrouvés au premier plan des actions et combats menés au sein des entreprises.
Le contentieux à l’initiative des CHSCT a considérablement augmenté, malgré le fait que cette IRP ne dispose pas comme le CE des moyens financiers notamment, nécessaires à l’engagement de ces procédures.
Les décisions des CHSCT de désignation d’un expert sur le fondement des articles L 4614-12 et suivants du Code du travail donnent souvent lieu à des actions en contestation devant les tribunaux à l’initiative des entreprises.
Les tribunaux de sécurité sociale reconnaissent de plus en plus le caractère d’accident du travail aux situations de souffrance au travail.
L’avis du CHSCT sur les projets de réorganisation ou de modification de l’organisation du travail est devenu un élément déterminant pour les autres IRP (CE notamment), appelées à leur tour à se prononcer sur ces mêmes projets.
Les juridictions considèrent qu’avant la mise en œuvre d’une réorganisation, les IRP doivent disposer d’informations précises et sérieuses en termes de conséquences sur les conditions de travail.
L’Arrêt FNAC Paris, rendu il y a quelques mois, est particulièrement intéressant à ce titre.
Il est donc possible d’affirmer que la question des conditions de travail et du contentieux qu’elle génère occupe aujourd’hui une place essentielle dans l’entreprise.
C’est dans ce contexte qu’intervient le projet de loi « Rebsamen » sur le dialogue social.
L’on pouvait donc légitimement attendre de ce projet qu’il renforce le rôle, la place, les moyens et les prérogatives des CHSCT…mais il n’en n’est rien…
Bien au contraire, le projet de loi vise en fait à une banalisation, une dilution du rôle et de la place de cet IRP.
De quelle façon ?
- Elargissement du champ de la mise en place des DUP et intégration dans ce cadre du CHSCT
- Mise en place systématique d’une DUP au sein de l’établissement quand une décision est prise dans le même sens au niveau de l’entreprise (modification de l’article L 2326-1)
- Introduction d’un article L 2326-4, qui prévoit que dans le cadre de la DUP, les DP, le CE et le CHSCT conservent néanmoins l’ensemble de leurs prérogatives
- Introduction d’un article L 2326-6, qui rappelle que chacune des IRP conserve ses règles de fonctionnement
- Secrétariat commun au CE et CHSCT
- Avis unique CE et CHSCT sur les projets qui leur sont soumis
- Désignation d’un expert unique quand les sujets relèvent des attributions aussi bien du CE que du CHSCT
Le projet de loi prévoit également dans les entreprises de plus de 300 salariés la possibilité de regrouper par accord majoritaire du CE, des DP et du CHSCT au sein d’une instance unique.
Celle-ci sera dotée de la personnalité civile et exercera l’ensemble des attributions des IRP faisant l’objet du regroupement (art. L 2391-1).
Cela signifie donc très clairement qu’elle va se substituer à toutes les IRP.
A défaut de pouvoir aboutir à un tel accord au niveau de l’entreprise, il est possible de le faire au niveau de l’établissement (art. L 2391-3).
L’accord fixe les modalités de fonctionnement de l’instance, et notamment le nombre de réunions minimum, les conditions d’élaboration de l’ordre du jour et les délais de sa communication aux membres de l’instance.
Le CHSCT est relégué au rang de commission issue de cette instance.
L’article L 4616-1 du Code du travail, qui avait été introduit par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (LSE), est complété par un alinéa qui prévoit que l’instance de coordination n’est consultée que sur les éventuelles adaptations, mais non sur les incidences et sur le projet lui-même.
L’article L 4612-8 est modifié, avec l’introduction d’un délai préfix pour que le CHSCT rende un avis ; le refus de cette instance de se prononcer étant regardé comme un avis négatif ; reprenant ainsi la règle introduite par la LSE s’agissant des CE.
Le projet prévoit également la possibilité pour l’employeur d’organiser des réunions communes des IRP, avec l’introduction d’un article L 2391-1, prévoyant la possibilité qu’un avis global soit rendu sous réserve que chacune des IRP ait été préalablement consultée selon ses règles propres.
Introduction d’un article L 4614-11-1, qui prévoit la possibilité d’un recours à la visioconférence pour les réunions de CHSCT.
En conclusion, le projet de loi vise à banaliser et à « diluer » le rôle important du CHSCT, au lieu de le renforcer ; alors même qu’il s’impose de plus en plus comme une IRP absolument incontournable dans l’entreprise.