Des œuvres sociales aux Activités Sociales et Culturelles
Les activités sociales et culturelles, telles que nous les connaissons aujourd’hui (c’est-à-dire, en fait, relativement mal) sont le fruit d’un double héritage dont elles portent encore de nombreuses traces.
Le premier héritage est celui du paternalisme. Avant la création des CE en 1945 existaient dans un très grand nombre d’entreprises des « œuvres sociales » mises en place par les directions et gérées par elles ou leurs proches. En 1945 ces « œuvres sociales » seront immédiatement « rétrocédées » aux tous nouveaux Comités d’entreprise, et à leurs récents élus. Cette « rétrocession » des « œuvres sociales » sera même la première disposition concrète marquant officiellement et matériellement leur existence. Les CE trouveront, en effet, dans leur corbeille de naissance des « œuvres sociales » empreintes de paternalisme et de caritarisme, les patrons considérant, en effet, celles-ci comme leurs « bonnes œuvres ».
Le paternalisme
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, bénéficiant de l’avancée importante des sciences et des techniques, de grandes entreprises et des manufactures se développent, la population salariale augmente, l’exploitation se renforce. Autour de l’usine se développent de grandes métropoles urbaines. Afin de faire vivre ces immenses usines le patronat a besoin d’une main d’œuvre qualifiée et sédentarisée, rompant avec la tradition ouvrière de la mobilité géographique issue du compagnonnage.
La constitution de ces structures caritatives autour de l’entreprise permet aussi au patronat de canaliser le mécontentement et de juguler, autant que faire se peut, la contestation. Progressivement c’est l’ensemble de la vie sociale, éducative, sportive et culturelle, qui passe sous le contrôle patronal. Stade, équipe sportive, église, crèche, hôpital, école, épicerie, fanfare, troupe de théâtre sont dirigés et subventionnés par le patron qui est bien souvent aussi maire et député.
Selon Pierre Bouvier : « le patronat décide d’intervenir, non plus seulement, dans le cadre de l’unité de production mais dans sa périphérie en investissant les composantes du temps hors travail afin d’assurer un contrôle plus efficace de l’influence des idées sociales ».[1]
Pansant les plaies physiques, morales et intellectuelles résultant d’une exploitation intensive, ce réseau de « bonnes œuvres» permet de récompenser hors entreprise le mérite et la moralité gagnés intra-muros.
Qu’il s’agisse du comité des forges, de Schneider, de Peugeot, de Michelin ou de De Wendel, le contrôle social s’exerce tout au long de l’existence du salarié, comme l’indique Eugène Descamp : « dans des villes comme Hayange, Mayeuvre, Joeuf , tout est à De Wendel : on va à l’école de Wendel, on est apprenti au centre d’apprentissage de Wendel, on devient ouvrier chez de Wendel, et lorsqu’on meurt on a encore droit à la couronne De Wendel ».[2]
En 1893 est présenté à Chicago un tableau déclinant l’ensemble des institutions et associations patronales fondées et gérées par la Compagnie des Mines de Blanzy. Outre les 31 associations et 42 institutions exposées figurent aussi un certain nombre de maximes qui résument la philosophie de l’ensemble : « Il existe au Mines de Blanzy une véritable participation aux bénéfices. La part de chacun lui est remise non en argent, mais sous une forme beaucoup plus profitable… L’indifférence entre patrons et ouvriers est contre nature… Il existe entre patrons et ouvriers plus que de l’accord, de la bonne harmonie des liens de véritable affection ».[3] En prenant en main lui-même l’adoucissement, la réparation et la correction des ravages provoqués par le travail, le patronat se dédouane de ses responsabilités en la matière et fait d’une pierre trois coups:
- Il masque sa responsabilité sous cette philanthropie ostentatoire.
- Il sédentarise une main-d’œuvre désormais jugée trop mobile en regard des qualifications nouvelles exigées par les avancées technologiques du système de production.
- Il fait passer sous son contrôle la sphère du temps de non-travail et intensifie ainsi sa domination sur le plan idéologique.
« Certes, les ouvriers sont de grands enfants qui ne demandent que protection et qui ne songent à se révolter que lorsqu’ils sentent que cette protection leur échappe ou qu’elle cherche à se transformer en domination. Pour conserver l’influence sur l’ouvrier, il y a deux méthodes bien distinctes: l’une, toute de menaces, d’âpreté dans le service; elle dure tant qu’elle peut jusqu’au jour de la révolte et de la grève … L’autre, d’équité, de justice, de philanthropie, qui affirme par des actes journaliers l’union constante entre le capital et le travail. Cette dernière méthode, à mon avis, sera celle de l’avenir et c’est la mienne ».[4]
Henri Japy.
Cette idée de rachat, de réhabilitation sociale est omniprésente dans les discours patronaux, ainsi à l’occasion du premier congrès de bienfaisance qui se tient en 1857 à Bruxelles, l’un des plus riches manufacturiers de Marquette près de Lille, monsieur Scrive, raconte sous les applaudissements des membres du congrès: « Nous avons introduit quelques moyens de distraction pour les enfants. Nous leur apprenons à chanter pendant le travail, à compter également en travaillant. Cela les distrait et leur fait accepter avec courage ces douze heures de travail qui sont nécessaires pour leur procurer des moyens d’existence.»[5] Les enfants en question ont moins de douze ans.
Puisant sa légitimité « théorique» dans ces idéaux d’humanisme, de charité et de compassion, le grand patronat met en œuvre un vaste réseau d’assistanat. Autour de l’entreprise, cœur de la cité, il organise et régente une myriade d’institutions de charité, de bienfaisance ou d’éducation. Il en assure la direction ou la confie à sa proche famille, à l’image de la société Amieux, spécialisée dans la conserve à Nantes depuis 1865. : « Mes enfants, je ne suis pas un de ces politiciens que j’exècre, je ne suis pas non plus un de ces capitalistes cramponnés à leur magot. » Son programme prévoit » des heures courtes de travail mais bien remplies, des heures longues de repos mais bien employées dans une maison propre, saine et gaie « . »[6]
Son fils Louis, qui lui succède, considère aussi qu’il a une responsabilité morale, des devoirs vis-à-vis de ses ouvriers, pour lesquels il fait construire un tennis, une bibliothèque, une salle de lecture, un billard et un dispensaire. En 1920, il crée une pouponnière réservée à ses ouvrières qui reçoit les bébés nourris au sein, pour encourager l’allaitement maternel. En créant une garderie scolaire et une colonie de vacances, Louis Amieux entend lutter contre le vagabondage. Philanthropie? Certainement, mais philanthropie intéressée: « On sait que l’ouvrier payé satisfait de son sort est un producteur bon marché, l’ouvrier qui n’arrive pas à boucler son budget, dont les efforts n’arrivent pas à faire vivre les siens, est un mécontent … Il faut à l’usine un personnel sain de corps et d’esprit et dont les enfants viendront à leur tour dans ces ateliers où leurs parents auront trouvé le moyen de les élever non sans difficultés sans doute, mais néanmoins sans effort stérile. » [7]
C’est également cette philanthropie intéressée qui préside à la création des jardins ouvriers. L’abbé Lemire, démocrate-chrétien, député-maire d’Hazebrouck, fonde en 1896 la Ligue du coin de terre et du foyer. Selon lui les avantages économiques et alimentaires sont indéniables, mais c’est surtout à la dimension morale et hygiénique de son œuvre qu’il accorde le plus d’importance : « Complément et correctif du travail industriel, le jardin ouvrier rend à l’homme sa personnalité, il le repose dans un travail libre, bien fait, à la mesure de ses forces et où l’outil, loin de le tyranniser, le sert. »[8]
Les patrons percevront rapidement l’intérêt de ces jardins, ils permettent à l’ouvrier d’améliorer sensiblement son ordinaire sans que soit augmenté son salaire dans l’usine; de plus ce travail complémentaire le retient chez lui, l’empêchant de fréquenter les bistros, «siège de la contestation et du désordre social ». Aussi assistera-t-on, à la multiplication de ces jardins ouvriers: Peugeot à Montbéliard, la Société d’habitation à bon marché de Belfort, le Jardin du cheminot et bien d’autres.
Les maîtres de forges, les Michelin à Clermont-Ferrand, les Schneider au Creusot, et à Guérigny, les familles Japy et Peugeot à Sochaux et dans la région de Montbéliard contrôleront l’essentiel de la vie de leurs ouvriers. Dès leur arrivée au Creusot en 1836, les Schneider mettent en place de très nombreuses et très efficaces institutions sociales : des écoles d’enseignement général et technique, une maison de famille qui héberge des enfants, des écoles ménagères, un hôpital, une caisse de secours, une caisse d’épargne, – un bureau de bienfaisance, une société musicale, des sociétés sportives.
Implantée à Beaucourt dès 1777, la famille Japy préside l’ensemble des sociétés beaucourtoises et les encourage. Le maire est l’époux d’une fille Japy, le président de la société musicale est un Japy, celui de l’harmonie aussi. Le président du club de gymnastique et le capitaine des pompiers sont aussi des Japy. D’abord extérieures à l’entreprise, les œuvres sociales patronales pénètrent peu à peu le terrain de la production : les clubs sportifs dans un premier temps, puis les bibliothèques et les sections artistiques. Concernant les clubs sportifs, Patrick Fridenson constate que leur rapide extension à partir de 1913 est concomitante de l’introduction en France du taylorisme. « La conception du sport comme instrument pédagogique de la nouvelle organisation industrielle vient donc en droite ligne d’Amérique, tout comme la notion du sport, moyen d’éducation morale. »[9] Après avoir été champion de tennis des Etats-Unis en 1881 et avoir inventé un nouveau modèle de raquette, Taylor lui-même avait comparé avec précision l’organisation du travail à l’organisation du sport.
De fait, c’est dans les grandes entreprises de l’automobile, pionnières de l’OST, que se créent les grands clubs sportifs. Le bulletin des usines Renault du 15 janvier 1915 indique que «le sport donne la forme et rend le travail acceptable à l’ouvrier du point de vue physique, mais aussi psychologique. Il excite l’émulation au plus haut degré, et ceci ne peut manquer d’avoir des répercussions psychologiques sur l’ouvrier à son travail». [10]
Après les clubs sportifs et les caisses de solidarité, qui préfigurent les mutuelles ouvrières, le paternalisme s’exercera sur les bibliothèques.
La firme Casino, fondée à Saint-Etienne par Geoffroy Guichard, organisait dans les années 1930-1935 des concours de lecture.
« L’émulation est un des principes éthiques et organisationnels du Casino. Parce qu’ils sont extérieurs au travail proprement dit, les concours organisés à la bibliothèque de l’entreprise en sont un exemple type. Le nombre de livres lus par les membres du personnel est comptabilisé par service et une récompense est attribuée au service et à la personne qui a le plus lu dans l’année. »[11]
Le paternalisme prospérera encore au cours du XXe siècle et connaîtra son apogée entre les deux guerres. Son recul progressif sera lié pour l’essentiel à la prise en compte des questions sociales et culturelles par le monde syndical, qui se construira en résistance à cette mainmise.
Le syndicalisme
La seconde source constitutive des Comités d’entreprise est le syndicalisme. C’est en effet, principalement, contre cette mainmise paternaliste que va se construire, en France, le syndicalisme. Les premiers syndicats de métier vont très vite revendiquer la gestion des affaires qui les concernent, créant eux-mêmes leurs propres caisses de solidarité, leurs mutuelles, leurs clubs sportifs, proposant aux seins des Universités Populaires des cours d’économie politique, de philosophie, d’histoire, des ateliers d’arts-plastiques, de théâtre, des conférences avec des intellectuels, des écrivains, des lectures collectives. Le Manifeste des soixante rédigé en 1864 par soixante ouvriers est d’inspiration proudhonienne. Il témoigne à l’évidence d’une certaine maturation de la conscience de classe et pose des revendications précises telles :
– la réglementation du travail des femmes,
– l’instruction primaire gratuite et professionnelle,
– la création de chambres syndicales.
Certaines de ces revendications seront reprises lors de la Commune de Paris.
Le 28 septembre 1864 se tient à Londres le meeting de fondation de l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T). La section française de cette association s’organise dès 1865. L’un de ses fondateurs et premiers dirigeants est Eugène Varlin, ouvrier relieur, qui sera fusillé durant la semaine sanglante qui suit l’échec de la Commune. Eugène Varlin avait créé à Paris un restaurant coopératif, ouvert aux syndiqués « La Marmite » qui outre des repas proposait une centrale d’achat, la mise à disposition de livres et de journaux et organisait des débat. Interdit par les autorités « La Marmite » dû souvent déménager. Pour Varlin : « Ce que nous devons combattre de toutes nos forces, c’est l’ignorance, la routine et les préjugés que nous rencontrons sur la route du progrès. Ce qu’il faut pour les combattre, c’est l’éducation des masses. » [12] Jacques Rancière, dans la « Nuit des prolétaires » a mis en avant le rôle important des ouvriers du livre dans la conquête ouvrière de l’émancipation.[13]
La section française de l’AIT regroupe des chambres syndicales, mais aussi des coopératives de production et des coopératives de consommation, des groupes éducatifs et des sections locales, elle est à l’origine d’une définition moderne du rôle des syndicats. La résolution adoptée au congrès de Genève en 1866, est rédigée par Karl Marx: « Il faut qu’ils [les syndicats] inculquent au monde entier la conviction que leurs efforts, bien loin d’être égoïstes et intéressés, ont au contraire pour but l’émancipation des masses écrasées. »
A cette époque l’aspiration ouvrière à la culture est forte, comme en témoignent ces porcelainiers de l’entreprise Haviland de Limoges, qui payaient un « lecteur» pour leur lire durant le travail des ouvrages de leur choix.
La motion définie au second congrès ouvrier qui réunit les syndicats à Lyon en 1878 influencera fortement les militants progressistes. Cette motion, inspirée par Jules Guesde, clame un mot d’ordre qui va se graver dans l’esprit et dans le cœur des travailleurs : « La journée de l’homme doit être ainsi remplie : huit heures consacrées au travail de la profession, huit heures dites de loisirs destinées aux recherches scientifiques, littéraires, aux exercices gymnastiques, à la culture littéraire, et enfin huit heures de sommeil. » Cette revendication importante va cheminer longuement dans la classe ouvrière.
En 1886 est constituée à Lyon la Fédération nationale des syndicats. En 1892 à Saint-Étienne, la Fédération des bourses du travail réunit ses premières assises. La Confédération générale du travail naît à Limoges le 28 septembre 1895 de la réunion des fédérations des syndicats professionnels et des bourses du travail.
La naissance de la CGT n’entraîne pas la disparition des bourses du travail, au contraire celles-ci vont enregistrer un regain de leurs activités. Véritables foyers culturels, elles organisent des cours professionnels. A l’occasion du 8e congrès de la Fédération des Bourses du Travail, Treich, de la bourse de Limoges, conclut son intervention en ces termes: « il faut dès aujourd’hui travailler à former des hommes, tant du point de vue moral que professionnel, qui seront chargés un jour de diriger le travail auquel seront appelés à participer tous les hommes sans exception. » [14]
En 1899, Fernand Pelloutier évoque le contexte dans lequel naquirent les bourses du travail : « Ce fut seulement quand, rapprochés, fédérés et inquiets de voir empirer chaque jour la condition ouvrière, que d’une part les ouvriers acquirent quelques clartés de la science sociale et furent en état de s’intéresser aux ouvrages mis entre leurs mains, que d’autre part ils portèrent les yeux sur le monde et y découvrirent le trésor littéraire capable de bercer leur peine, en attendant qu’il leur permît d’y remédier. Actuellement il n’est pas de bourse du travail qui ne possède une bibliothèque. Comme d’instinct, les bourses· du travail sont allées aux œuvres les p1us propres à épurer le goût, à élever les sentiments, à étendre les connaissances de la classe ouvrière. » [15]
Cette même année Anatole France inaugure l’université populaire du quinzième arrondissement, qui porte le nom d’ « Émancipation ». Il le fait en ces termes: «A vous, travailleurs, de hausser vos esprits et vos cœurs et de vous rendre capables, par l’étude et la réflexion, de préparer l’avènement de la justice sociale et de la paix universelle. La formation et l’éducation de la classe ouvrière sont de plus en plus à l’ordre du jour. Marius Bertou note que de 1892 à 1914 quatorze congrès de la CGT ou de fédérations constitutives inscrivent à leur ordre du jour des problèmes qui se rapportent à l’éducation. [16]
Le 14e congrès de la CGT en 1919 est marqué par une intervention de L. Zoretti, professeur à la faculté de Caen, dirigeant du Syndicat de l’enseignement supérieur, qui constate que la presse bourgeoise s’inquiète « de voir la CGT sortir de la période des revendications purement matérielles pour entrer dans l’étude des questions plus abstraites et d’un ordre intellectuel. La CGT revendique, dès maintenant, le droit absolu pour tous les enfants d’accéder aux degrés les plus élevés de la culture, si leurs aptitudes sont suffisantes. L’enseignement primaire obligatoire, réellement gratuit, sera donné jusqu’à seize ans ».Cette même année est marquée par la création de la Confédération Française des Travailleur Chrétien (C.F.T.C.) découlant de l’Encyclique « Rerum Novarum » édictée par le pape Léon XIII, en 1891 qui incitait les catholiques à investir « la question du travail » source de bien des maux. Issus de cette même encyclique les prêtres ouvriers joueront un rôle important dans l’histoire du syndicalisme.
Au cours d’une réunion éducative, le docteur Hazemann, délégué de la Fédération des services de santé, propose des solutions concrètes: «La maison du peuple ou des syndicats doit disposer d’une bibliothèque, d’une salle de lecture, de représentations théâtrales et cinématographiques pour s’instruire, d’un service médico-chirurgical, d’un dispensaire.»
La naissance, en 1920, du parti communiste au congrès de Tours entraîne une première scission au sein de la CGT. Les socialistes restent à la CGT, les communistes créés la CGTU (Confédération Générale du Travail Unitaire).
Le congrès de la CGTU qui se tient à Bordeaux en 1927 inscrit à son ordre du jour la question de la « théorie des bases multiples ». Derrière cette appellation quelque peu opaque se cache une question décisive pour le syndicalisme, celle de sa légitimité à intervenir sur des aspects qui dépassent le seul cadre revendicatif au sein de l’entreprise. En clair il s’agit pour le syndicat d’investir le champ social et culturel hors de l’entreprise. Dans les faits la question était déjà tranchée puisque la CGT à sa naissance était déjà héritière d’une solide expérience en la matière issue des fédérations de métiers et de celle des Bourses du Travail. Les délégués du congrès confédéral adoptèrent à la majorité cette disposition. Cette décision aura des effets immédiat, de puissantes fédérations, telle celle de la métallurgie, vont se doter en quelques années d’un solide patrimoine : aéro-club de Person-Beaumont, centre de loisir de Baillet en France, sanatorium de Vouzeron, polyclinique des bluets, coopérative d’achat et librairie, rue Jean-Pierre Timbaud à Paris C’est en liaison étroite avec le mouvement syndical que seront créées les premières maisons de la culture, celle de Paris étant dirigée par Louis Aragon. C’est à la CGT que l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires constituée en 1932 transmettra sa chorale qui est devenue depuis la Chorale populaire de Paris. L’année 1934 voit la fusion de la Fédération Sportive du Travail, proche de la CGTU, et de l’Union des Sociétés Sportives et Gymniques, voisine de la CGT, en une Fédération Sportive et Gymnique du Travail (F.S.G.T.). La réunification syndicale est en marche, elle sera effective en mars 1936 lors du congrès de Toulouse. Dès lors la victoire du Front Populaire est possible. Elle est toute proche.
Le Front Populaire
Devant l’ampleur de la crise qui frappe le pays et devant les menaces fascistes, Maurice Thorez en appelle en juillet 1935 à la formation d’un « Front populaire pour la liberté, la paix et le pain » rassemblant les forces de gauches. Si les partis politiques s’emploient à créer cette nécessaire dynamique, le mouvement syndical n’est pas en reste. La CGT, enfin réunifiée en mars 1936 lors du congrès, de Toulouse organise une grande manifestation à Paris le 1er mai 1936. Celle-ci, heureux hasard du calendrier, se déroule entre les deux tours des élections législatives. Les forces de gauche, rassemblées sous la bannière du « Front Populaire », sont en tête au soir du 1er tour. La manifestation syndicale est un succès sans précédent, la gauche a le vent en poupe. Le 3 mai, au soir du second tour les forces de gauche enregistrent une victoire historique. Les députés de gauche sont majoritaires au sein de l’assemblée nationale.
Le 11 mai, à l’usine Bréguet aviation du Havre, deux ouvriers sont licenciés pour avoir manifestés le 1er mai. Par solidarité l’ensemble des salariés décide de faire grève et d’occuper l’usine afin d’éviter que la direction ne déménage et vende deux hydravions terminés. Cette occupation de l’usine est une première en France. Une presque première à vrai dire, puisque l’usine Citroën de Paris avait connu une occupation en 1933 à l’initiative des ouvriers polonais qui avait importés de leur pays cette forme de lutte. Mais l’occupation de Breguet fera tache d’huile et du 14 au 20 mai, le mouvement s’étend à de nombreuses entreprises aéronautiques et métallurgiques. Partout les revendications sont les mêmes : hausse des salaires, institution de délégués du personnel et droit de grève. Le 26 mai la quasi-totalité des entreprises de la métallurgie est en grève. Le 2 juin, deux millions de travailleurs ont cessé leur travail et occupent 9900 usines et établissement, le 5 juin la grève des journaux, de la boulangerie et des grands magasins symbolisera l’extension du mouvement qui culminera le 11 juin. Situation inédite, ces ouvriers, ces employés qui travaillent 48 heures ou plus par semaine, qui n’ont pour tout repos que le dimanche, qui ne connaissent pas les vacances, se retrouvent soudain sur leur lieu de travail … sans travailler. Comment passer ce temps, comment s’occuper en occupant l’usine ? Les grévistes vont faire preuve de beaucoup d’imagination afin de remplir ce premier « temps libre » de leur histoire. Les cours d’usines vont devenir des lieux de rassemblement, de meeting, des théâtres et des terrains de sports vont s’ériger. Les cours deviennent des lieux publics, des lieux de vie, de convivialité et de fraternité. La frontière entre dehors et dedans, entre lieu privé et lieu public s’abolit, les ouvriers s’approprient leur espace de travail et ses abords. Dans les établissements qui n’ont pas de cours, les employés investissent les lieux de travail, à l’image du personnel des Galerie Lafayette qui investit des chaises longues et du mobilier de plage, dont l’usage était jusqu’alors réservé aux seuls nantis. Ces femmes et ces hommes n’imaginaient pas que deux mois plus tard, ils pourraient, eux aussi connaître les joies de la plage et de la baignade.
Les grévistes bénéficient d’un fort courant de solidarité et de sympathie de la part des milieux artistiques. Mistinguett chante devant les employés des Galeries
Lafayette, des chanteurs et des chansonniers se rendent chez Renault ou à Citroën. Le groupe « Octobre » qui compte dans ses rangs les frères Prévert, Raymond Bussière, Jean-Paul Le Chanois, Marcel Duhamel, Maurice Baquet, Roger Blin, Jean-Louis Barrault, les frères Marc et Mouloudji, présente son spectacle « le tableau des merveilles » dans de nombreuses entreprises. Sans négliger ces soutiens extérieurs, les grévistes trouvent dans leur propre rang les ressources de leurs distractions : écoute du poste de TSF, écoute du phonographe (souvent « emprunté » au patron), ils organisent des bals populaires, des compétions sportives et s’adonnent à la gymnastique.
Durant plus d’un mois les ouvriers en grève vont découvrir de nouvelles formes de solidarité et d’action au sein des entreprises occupées. La « vacance » du pouvoir représente pour eux de véritables « vacances » avant l’heure. Ce n’est en effet que le 4 juin que Léon Blum, nommé Président du Conseil, présente son gouvernement dans lequel figure trois femmes, Irène Joliot-Curie, Cécile Brunschwicg et Suzanne Lacore. Les communistes apportent leur soutien mais ne participe pas au gouvernement. Un sous- secrétariat d’état au tourisme et aux loisirs est créé et attribué au jeune député du Nord Léo Lagrange. Le 7 juin, syndicat et patronat signent les accords de Matignon. Ceux-ci prévoient une augmentation des salaires de plus de 15%, la semaine de 5 jours et de 40 heures, la reconnaissance des syndicats, les élections des délégués du personnel. Assez curieusement, à l’exception de la métallurgie de la région parisienne et de certaines entreprises de l’Oise, les cahiers de revendications rédigés par les grévistes avant le 6 juin n’évoquaient pas les congés payés. Selon l’historien Pascal Ory, leur inscription dans la loi « fut largement une initiative personnelle de Léon Blum ».[17] En effet l’idée même d’être payé sans travailler était réellement « inconcevable » pour des ouvriers totalement asservis leur vie durant par le travail. C’est donc Léon Blum, en personne qui devant l’assemblée nationale le 11 juin imposa cette loi qui fut votée par 563 voix contre 1. Dès août 1936 les ouvriers bénéficièrent de 15 jours de congés payés. L’ampleur des conquêtes sociales de juin 36 est le résultat d’une double réalité, d’un côté, un puissant mouvement social relayé par un syndicalisme uni et revigoré, héritier d’une grande ambition culturelle, et de l’autre une politique publique particulièrement volontariste notamment en matière d’éducation, de sport et de culture. Jean Zay, Ministre de l’Education Nationale fait construire des écoles, créé six mille postes d’instituteurs et fait voter une loi prolongeant la scolarité de quatorze à seize ans. De son côté Léo Lagrange créé le Musée d’art Moderne, le Musée de l’Homme, le Musée des Arts Décoratifs, le Palais de la découverte, la cinémathèque. Il instaure le Brevet Sportif, pour initier les écoliers aux activités physiques et sportives, rend le Louvre gratuit et créé l’Idhec. Devant l’engouement des ouvriers pour les vacances il instaurera en 1937 le billet SNCF à tarif réduit, le « billet congés payés ». Mais en août 36, les premiers 15 jours de vacances ont lieu dans la hâte et la précipitation, ce qui n’empêchait pas, au contraire, la joie et la bonne humeur. Le pays n’étant pas équipé en centre de vacances, les ouvriers durent planter leurs tentes aux bords de rivières ou de lacs, après de longs périples en vélo ou en tandem, comme l’ont immortalisés les photos de Doisneau ou de Willy Ronis. Mais l’embellie sera de courtes durée, et dès février 37 Léon Blum demandera « une pause dans les réformes sociales ». En juin le gouvernement Blum démissionne remplacé par celui du radical Camille Chautemps. Les dissensions se sont aggravées entre les trois partis ayant initialement constitué le Front Populaire. Elles se poursuivront jusqu’à la formation en avril 1938 du gouvernement Daladier sans participation socialiste et avec des ministres « modérés » ouvertement hostile au Front Populaires. Pendant ce temps, l’Italie mussolinienne et l’Espagne franquiste, se mettent en ordre de marche derrière l’Allemagne hitlérienne. La guerre approche.
La résistance
La guerre est là. Le 3 septembre 1939 l’invasion de la Pologne par l’Allemagne signe l’entrée en guerre de la France. Le parti communiste est interdit, ses députés sont bannis, la CGT et la CFTC sont dissoutes. En mars 1940 l’Allemagne envahie la France, le gouvernement se repli à Vichy, Pétain capitule, la France abdique. Pour l’historienne Germaine Willard « la période qui suit l’effondrement de l’été 1940 est parmi les plus sombres de l’histoire nationale. La puissance du vainqueur paraît sans faille. L’Allemagne nazie domine presque toute l’Europe. En France, elle a annexé l’Alsace et la Moselle, décrété le Nord et le Pas de Calais zone interdite et occupe le territoire jusqu’à la Loire ainsi que toute la côte atlantique. Les italiens de leur côté occupe Nice et la Corse »[18]. Mais la combativité et la maturité politique que le mouvement ouvrier a acquise aux cours des luttes antifascistes peuvent être réactivées. Découragé, éparpillé, frappé par la répression, les militants ouvriers ne se sont pas volatilisés. Conscient de cet état d’esprit le gouvernement de Vichy lance une vaste opération démagogique, en vue d’obtenir la passivité sinon l’adhésion de la classe ouvrière et de neutraliser ses éléments les plus combatifs. Le 7 octobre 1941 est promulguée la « Charte du travail » qui a pour ambition de réorganiser les rapports sociaux dans le cadre de la corporation. Elle entend substituer à la lutte des classes leur collaboration, sous la protection tutélaire de l’Etat, réalisant ainsi la paix et la justice sociale. Mais elle doit avant tout liquider le syndicalisme ouvrier indépendant. Aux syndicats de salariés maintenus ou créés dans de nouvelles structures ne sont dévolues que des fonctions de transmission et d’exécution des décisions corporatives auxquelles les salariés n’ont aucune part. Des « comités sociaux mixtes » sont chargés à tous les échelons d’organiser la collaboration entre employeurs et employés ; les représentants ouvriers doivent être agrées par le chef d’entreprise. Les militants ouvriers ne seront pas dupes et c’est dans la clandestinité qu’ils s’organisent en réseau et préparent la résistance. Animés par des syndicalistes et des militants communistes des « comités populaires » se constituent et organisent sur le terrain de multiples fractions de la population autour d’objectifs précis, pour des actions concrètes (transmission d’informations ou ravitaillement par exemple). Dans les entreprises, ces comités vont jouer le rôle d’un syndicat clandestin, donnant l’impulsion à l’action et s’efforçant d’aider les syndicats légaux à retrouver leur véritable fonction. Les comités populaires entreprennent de réactiver les pratiques sociales que le mouvement ouvrier a acquis au cours de l’histoire : pétitions, délégations, manifestations, débrayages, grèves… Les femmes se mobilisent pour le ravitaillement et l’aide aux prisonniers de guerre. L’action des comités féminins que dirige Danielle Casanova, est particulièrement importante dans les régions industrielles et urbaines, elles aboutissent parfois à de véritables manifestations de rue. En mai 1941, 100 000 mineurs du Pas de Calais se mettent en grève. Des milliers seront arrêtés, une centaine fusillés et près de 250 seront déportés. La deuxième moitié de 1941 et le début de l’année 1942 voient se structurer la plupart des grands mouvements de résistance. C’est aussi dans cette période que la France libre, alliée dans cette nouvelle phase de la guerre à la Grande-Bretagne et à l’URSS, renforce sa légitimité. Le Comité national français, créé en septembre 1941, commence à prendre l’allure d’un gouvernement provisoire. Affirmer publiquement l’existence de forces résolues à s’opposer aux oppresseurs est un moyen de donner confiance à la population et de l’entraîner. C’est l’objet de manifestations de rues qui, dès juillet 1941, se succèdent, notamment en région parisienne, avec des prises de paroles presque chaque dimanche sur les marchés de banlieue et dans les quartiers populaires de la capitale. L’occupant perçoit parfaitement le danger et réagit fermement. Il lui faut immédiatement couper court à la montée de l’esprit de résistance dans la population. D’où les sanctions exemplaires qui frappent la participation aux manifestations : André Masseron est condamné à mort par un tribunal militaire allemand et fusillé le 24 juillet pour avoir chanté La Marseillaise le 14 juillet. Le 21 août le colonel Fabien abat, en plein jour, un officier allemand à la station de métro Barbès. Cet acte annonce publiquement l’ère de la guerre systématique contre l’armée allemande. L’occupant entend stopper net cette rébellion, qui lui apparaît comme les prémices d’une guerre populaire, par un acte de terreur exemplaire. Le 22 octobre, 27 internés du camp de Châteaubriand et 21 détenus de la prison de Nantes, sont fusillés. Ils ont été soigneusement choisis, avec l’aide précieuse de l’administration française, et notamment du ministre de l’intérieur, Pucheu. La liste que les allemands publie le jour même relève la qualité de communiste de la plupart des suppliciés, et tout spécialement les responsabilités syndicales de ceux de Châteaubriand. Il s’agit bien de saigner à blanc le cœur du mouvement ouvrier, ainsi désigné comme le moteur de la lutte nationale. France d’Abord, « organe d’information sur le mouvement des patriotes français pour la libération du territoire » (mouvement qui prendra le nom de Francs-Tireurs et Partisans français-FTP-en avril 1942) peut affirmer en février 1942 : « Nous sommes en guerre ».[19] Le 6 juillet un premier convoi d’otages part de Compiègne pour Auschwitz. Il sera suivi de beaucoup d’autres.
A Sochaux, les ouvriers des usines Peugeot se mettent en grève en mars 1943 contre les réquisitions d’ouvriers vers l’Allemagne. Partout l’occupant tente de mettre la main sur les capacités de production du pays pour assurer aussi bien le ravitaillement des troupes que le transport des armes et des munitions. Le réseau ferroviaire est un enjeu fondamental pour l’Allemagne. Les cheminots multiplient les actions pour ralentir ou stopper la circulation des trains. Leur résistance sera déterminante dans la victoire finale. Le rôle que tient la classe ouvrière face à l’occupant et à Vichy n’échappe pas à l’ensemble de la Résistance. François Mauriac le relève dès novembre 1941 quand il écrit : « Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée ».[20] La défaite de l’armée allemande en février 1943 lors de la bataille de Stalingrad écorne le mythe de l’invincibilité de la Wehrmacht. Les débarquements anglo-américains au Maroc et en Algérie, puis en Sicile, sans être encore le second front tant attendu placent là aussi les Etats fascistes sur la défensive. La convergence dans les luttes active les rapprochements entre organisations clandestines. En février 1943, un appel commun est publié par cinq journaux clandestins. L’ensemble des forces patriotiques s’associent à la célébration du 1er mai 1943, « journée nationale de protestation contre la déportation ». Dans des régions nouvelles, dans des secteurs nouveaux de la société, la population s’ouvre à l’engagement résistant qui va du silence complice au soutien actif. Le rejet de plus en plus massif de l’occupant et du gouvernement de vichy entraîne une adhésion plus grande à la cause des alliés et de la Résistance. Le combat national trouve des assises de masse qui se traduisent par un renforcement des convergences, aboutissant en mai 1943 à la création du Conseil National de la Résistance (CNR), présidé par Jean Moulin, puis en juin du Comité français de la libération nationale, véritable gouvernement provisoire de la république. Dans les entreprises, surtout celles liées à l’armement les sabotages et les actions revendicatives se multiplient, à l’image de l’usine Gnôme et Rhône (moteurs d’avions) ou fin août 1943, 6400 ouvriers et techniciens font grèves plusieurs jours et obtiennent la libération des délégués arrêté et la satisfaction de plusieurs revendications. A partir de l’automne 1943 le journal de la CGT, La Vie Ouvrière mène une campagne systématique pour la constitution, dans l’entreprise même, de groupes armés, noyaux des futures milices patriotiques. De fait, les travailleurs forment la masse des groupes armés – groupes de guérilla urbaine, de sabotage ou maquis – surtout dans les FTP. Les cheminots joueront un rôle décisif dans la résistance, rôle qui sera immortalisé dans le film de René Clément « La bataille du rail ». Le programme du CNR est adopté à l’unanimité de ses membres en mars 1944, il propose, entre autres mesures : « L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. Le droit d’accès, dans l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires ; et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ».[21]
Des écrivains, des poètes, s’engagent dans la résistance, ils seront « l’honneur des poètes ». Vercors créé les Editions de Minuit, Paul Eluard écrit « Liberté », Aragon, René Char se battent et écrivent, leurs poèmes sont largués par des avions alliés et dynamisent les résistants. Dans les maquis du Vercors, intellectuels et ouvriers, les armes à la main, prolongeant la fraternité du Front populaire, posent les bases d’un futur mouvement d’Education populaire. L’association « Tourisme et Travail » est créée le 11 février 1944, « Travail et Culture », le 22 septembre 1944, « Peuple et Culture ».
Le débarquement des troupes alliées sur les côtes normandes s’accompagne d’un fort mouvement insurrectionnel initié par les syndicalistes : arrêt de travail, grèves répétées, manifestations mobilisatrices – le 14 juillet notamment – accentuation des sabotages à l’entreprise, participation des travailleurs à la lutte armée. Les évènements de la région parisienne sont exemplaires, le processus insurrectionnel y est, de bout en bout, sous-tendu par le développement du mouvement gréviste. « Paris libéré par les parisiens eux-mêmes », la formule est connue, elle est attribué à de Gaulle, mais c’est le Comité Parisien de la Libération qui la formula le premier le 19 août 1944 : « L’heure de l’insurrection nationale a sonné. C’est Paris, capitale de la liberté, c’est Paris fier de son passé de lutte et d’héroïsme, c’est Paris libéré par les parisiens eux même qui accueillera les alliés »
Le Comité Parisien de Libération, présidé par le militant CGT André Tollet joua en effet un grand rôle dans la libération de la capitale : « Chacun sentait bien qu’il fallait miser avant tout sur l’effort de la classe ouvrière, donc sur la grève générale comme élément décisif. L’objectif du CPL et de l’Union des Syndicats était de développer la lutte de masse. L’ennemi ne pouvait être submergé que par un énorme mouvement de masse qui devait partir en premier des entreprises. Le 1er juillet, une importante manifestation se déroula de la porte Saint-Denis au boulevard Magenta. Là une Marseillaise énorme s’éleva d’une ampleur telle qu’elle fut entendue à la gare de l’Est. Un militant de la résistance prit la parole, pour montrer surtout que malgré la Milice et les troupes allemandes, le pavé de Paris pouvait appartenir aux parisiens. »[22]Le 8 juin 1944 le CPL adresse ses consignes au peuple de Paris au lendemain du débarquement en Normandie : « Le débarquement des Alliés, tant désiré par la population parisienne, s’est réalisé. Le peuple de Paris a son rôle à jouer, rôle immense que lui dictent son passé, sa lutte récente et son importance décisive. Ouvriers du Faubourg Saint Antoine, de Grenelle et de Ménilmontant, métallos de Puteaux, d’Ivry et du 13 ème, midinettes, vendeuses de magasins, tous et toutes : aux armes pour libérer Paris. En avant vers l’insurrection nationale, inséparable de la Libération. »
Le 20 juin le CPL félicite le personnel des PTT « pour le sabotage des transmissions de l’ennemi. Postiers et postières vous avez bien travaillé et le peuple de Paris saura l’aide que vous avez ainsi apportée à la France et à ses alliés. Préparez la grève générale. Dans chaque bureau, dans chaque service, dans chaque central, constituez vos milices patriotiques. Le 14 juillet doit être une journée de préparation de l’insurrection nationale. Portez les trois couleurs nationales. Hissez les drapeaux tricolores sur les bâtiments publics. Chômez toute la journée ».[23] Pour André Tollet c’est cette manifestation du 14 juillet qui fut à l’origine de la grève des cheminots du 10 août qui a permis le déclenchement de l’insurrection : « Il y avait eu avant l’insurrection une série de mouvement. Par exemple une manifestation considérable des employés du métro. Il faut dire que le métro et les bus avaient déjà fait pas mal de choses (en terme de sabotage) ». A l’été 1944, les ateliers SNCF de Vitry sur Seine débrayent, bientôt rejoint par 25 dépôts de la région parisienne. Cette grève marquera le début de l’insurrection, très vite le mouvement s’étend aux traminots, aux métallos, aux postiers, aux commerçants des Halles, aux ouvriers du bâtiment. Le 17 août, lors d’une réunion du CPL dans le bureau, et en présence, du Colonel Rol-Tanguy (représentant des FTP, chef de toutes les forces militaires d’Ile de France) le principe de l’insurrection est décidé, elle aura lieu le 19. Le 18 août la CGT appelle à la grève générale « L’insurrection est déclenchée. Paris et sa banlieue ouvrière se battent contre les Boches… l’ultime combat est engagé ». Le 25 août, le colonel Rol Tanguy, aux côtés du général Leclerc, reçoit la reddition du général Von Cholitz. Paris est libérée. La France le sera définitivement le 8 mai 1945.
2) La création des CE
C’est dans ce contexte que furent créé, avant la fin de la guerre, en février 1945 les Comités d’entreprise. La création des comités d’entreprise et équivalents constitue une étape importante dans l’histoire du monde du travail. A la direction paternaliste des œuvres sociales par l’employeur est substituée une gestion indépendante de ces œuvres par le comité d’entreprise, c’est-à-dire par les élus des travailleurs, qui trouvèrent dans leur corbeille de baptême les anciennes œuvres sociales patronales.
S’il est difficile de dater avec précision la date de la création des CE c’est que cette naissance ne fut pas un long fleuve tranquille. L’ordonnance de février 1945 et la loi d’avril 1946 pourraient en effet s’en disputer la paternité. Réglons le problème en portant sur le registre de naissance la double paternité de 1945/1946.
La création des CE est une incontestable avancée sociale mais elle est aussi le fruit d’un compromis. Elle fut arrachée au patronat et au gouvernement qui craignait le pire en 1944, pour eux cette concession fut un moindre mal. Les armes à la main les ouvriers avaient pris le pouvoir dans l’entreprise. Comme ils l’avaient pris dans les villes, souvent en effet le Maire fut installé par les résistants qui le choisirent en leur sein. Idem pour les journaux. C’est pour empêcher pareil phénomène que patronat et gouvernement voulurent légiférer, cherchant à gagner du temps afin que le patronat largement désavoué en 1944 ne se ressaisisse (le CNPF sera officiellement reconstitué le 1er janvier 1946). Le bras de fer dura trois ans et sera jalonné par trois textes législatifs, un avant-projet d’ordonnance de novembre 1944, une ordonnance de février 1945 et enfin une loi d’avril 1946.
Le décret de novembre 1944
Rolande Trempé a montré la filiation directe entre les « Comités de Libération » ou « comités patriotiques » et les Comités d’entreprise, pour elle les seconds sont bel et bien la continuation des premiers. Pour l’historienne, les comités patriotiques qui se sont créés, les armes à la main dans les usines préfiguraient les CE de 1945. Rolande Trempé souligne que la création des CE s’inscrit aussi dans l’évolution des entreprises elles-mêmes : « Que l’épicentre de ce mouvement revendicatif soit l’entreprise n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence logique du rôle inédit qu’elle occupe dans les luttes ouvrières depuis 1936, et de la place qui lui a été attribuée dans la stratégie et la tactique de la Résistance et de la Libération ».[24] Maurice Cohen confirme : « Leur naissance fut mouvementée et résultat des secousses de la seconde guerre mondiale. Cette conquête sociale originale, alliant compétence consultative en matière économique et un droit gestionnaire en matière sociale et culturelle, était encore impensable en 1936. A l’époque la CGTU avançait quelques idées de « contrôle ouvrier », évidemment repoussées par le patronat. La guerre de 1939-1945 étouffa les anciennes revendications… Cependant les idées de contrôle ouvrier influencèrent en 1943 les résistants qui discutaient dans la clandestinité d’un programme économique de reconstruction et de rénovation de la France. Le 15 mars 1944, le Conseil National de la Résistance adoptait un programme qui mentionnait notamment « la participation active des travailleurs à la direction de l’économie ». Les faits ont précédé le droit. Dans un climat où la classe ouvrière sortait grandie de la Résistance alors que nombre de dirigeants patronaux étaient discrédités par la collaboration avec l’ennemi, de multiples initiatives furent prises dans les entreprises en août 1944 sous l’impulsion des comités locaux de Libération. Divers comités se constituèrent rapidement dans les entreprises, à la fois pour défendre les installations industrielles contre les sabotages, pour hâter le relèvement économique du pays et pour accroître l’effort de guerre dans les industries travaillant pour la défense nationale. Les uns étaient des comités patriotiques d’entreprise, d’autres des comités à la production et d’autres des comités de gestion.
Jusqu’à la fin de l’année 1944, les comités patriotiques et comités de gestion, loin de disparaître, se multiplièrent, ce qui amena le GRPF (gouvernement provisoire de la république française) à promettre, par une référence implicite au programme du CNR, de publier une ordonnance sur les comités mixtes à la production dans les grandes entreprises ».[25]De fait, du point de vue patronal il y avait bien péril en la demeure, car ici et là se multiplièrent ce qu’il convient d’appeler des expériences « d’autogestion ouvrière ». L’une des plus célèbres et des plus durables eu pour cadre l’Ardèche et plus précisément l’entreprise « Lafargue » qui resta son contrôle ouvrier plus de trois ans. A Marseille, entre le 10 septembre et le 5 octobre 1944, le Commissaire régional de la République, Raymond Aubrac, ordonna la réquisition de 15 entreprises. Une association dénommée « MARENTREQ (Marseille-entreprise-réquisitionnées) regroupe toutes ces entreprises, représentées par leur directeur, ainsi que par la CGT, qui est également membre fondateur. Son siège est fixé à la Bourse du Travail. [26] En avril 1946, quatorze des quinze entreprises de MAR.ENT.REQ sont bénéficiaires. Les effectifs sont passés de 12 000 à 16 000 ouvriers. Le carnet de commande est plein. L’absentéisme a régressé de 29 à 14%. La productivité augmente. L’adhésion ouvrière provient du rôle de la section syndicale, animatrice du comité consultatif de gestion, lui-même en liaison étroite avec une direction nommée après avis favorable des syndicats. Chez Fouga, à Béziers, autre expérience autogestionnaire, le comité de gestion fait redémarrer l’entreprise avec compétence.[27]Pendant presque trois ans les comités patriotiques, les comités d’entreprise, les comités mixtes à la production, cohabitèrent. La carte des entreprises « sous contrôle ouvrier, qu’on les désigne sous les termes de « comité de libération », « comité patriotique », ou « comité de gestion » recoupe presque, trait contre trait, la carte des zones de résistance ou celle des entreprises dites sensibles, c’est-à-dire celles liées à l’armement, à l’aéronautique, ou celles à forte implication syndicale et politique, c’est-à-dire souvent les mêmes. C’est donc devant ce risque de « soviet à la française » que le patronat « accepta » du bout des lèvres, ce qui figurait dans le programme du CNR, tout en espérant des jours meilleurs… et pour cela joua ce que les sportifs appellent « la montre »…. Le 27 juillet 1944, le gouvernement provisoire annule la Charte du travail et les statuts des corporations, rétablit dans leurs droits les syndicats dissous. Le conseil des Ministres inquiet de la création locale de divers Comités spontanés, de Comités patriotiques, d’épuration, de gestion, annonça le 29 septembre 1944 que « le gouvernement a décidé de rappeler qu’aucune autorité, ni aucun organisme n’a qualité pour modifier, en dehors des prescriptions de la loi, les fondements du régime des entreprises ». Le communiqué comprend une vague promesse de création, par ordonnance, de Comités mixtes dans les grandes entreprises. Le 21 novembre 1944 un décret sur les Comités d’entreprise est déposé à l’assemblée Consultative par Alexandre Parodi, alors Ministre du travail.[28] D’emblée, le patronat déclare qu’il ne peut souscrire à certaines dispositions de ce texte, pourtant très timide en matière d’attributions économiques. Les syndicats, pour leur part, furent fortement déçus de ne pas y trouver autre chose que des attributions très limitées et essentiellement consultatives, très en deçà des pratiques de gestion ouvrière mises en œuvre au sein des comités de gestion dans un certain nombre d’entreprise.
L’ordonnance du 22 février 1945
Une autre proposition dû être élaborée et le 22 février 1945 une ordonnance fut promulguée, elle sera, elle aussi, l’objet de vives critiques de la part de la CGT. Le bureau confédéral condamna non seulement la méthode employée, mais aussi déclara clairement que « ce n’est pas avec ces décisions que l’on créera dans la classe ouvrière l’enthousiasme nécessaire à l’augmentation de l’effort de guerre et à la rénovation économique. La CGT précise qu’elle fera les plus grands efforts pour que soit modifié un texte insuffisant. » [29] Il faudra attendre le départ du Général De Gaulle, les élections de la première assemblée Constituante et la formation d’un nouveau gouvernement pour que la question soit reposée. En octobre 1945, la gauche gagna les élections à l’Assemblée constituante, le nouveau ministre du Travail Ambroise Croizat, ancien secrétaire général de la Fédération CGT des métaux, est favorable, lui, à une extension des droits des Comités. Il mettra tout son poids et sa légitimité dans la balance pour faire évoluer l’ordonnance de février1945.
La loi du 16 avril 1946
Albert Gazier, qui fut secrétaire de la CGT avant de devenir député SFIO, reprend dans une proposition de loi les modifications précédemment adoptées par l’Assemblée consultative. Du projet gouvernemental et de la proposition Gazier naît la loi du 16 avril 1946. Elle conduira le CNPF et la chambre de commerce de Paris à émettrent de vives protestations. Cette loi, abaisse le seuil de 100 à 50 salariés pour constituer un CE, accorde vingt heures de délégation pour les élus, en matière économique, la loi stipule que le Comité d’entreprise est obligatoirement consulté sur l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise, que deux membres du Comité assistent au Conseil d’Administration des sociétés anonymes. Le Comité d’entreprise est obligatoirement informé des bénéfices et peut émettre des suggestions. Bien qu’ils soient limités et d’ordre consultatif, ces pouvoirs ne seront effectivement appliqués que sous la pression syndicale. Dans bien des cas, les directions d’entreprises tenteront de les réduire à un exercice formel. Cette question devient alors un enjeu de lutte qui garde, aujourd’hui encore, une pleine actualité. Le CNPF protesta en déclarant que le Parlement devra refaire le texte « quand il aura retrouvé sa position d’équilibre », c’est-à-dire quand la gauche y sera moins forte. Pour les syndicats cette loi marque une réelle avancée : « La loi du 16 avril 1946 est une loi d’avant-garde. Plus que l’ordonnance de 1945 qu’elle modifia profondément, cette loi a constitué et constitue toujours le socle du statut moderne des comités d’entreprise. La loi de 1946 doubla le nombre des entreprises assujetties en portant le seuil d’effectifs de 100 à 50 salariés ». [30]Benoît Frachon écrira en 1948 : « L’institution des comités d’entreprise est une conquête démocratique pour laquelle les syndicats ont lutté durant des années. La CGT clandestine avait formulé et précisé cette revendication pendant l’occupation hitlérienne. Ses représentants au Conseil national de la Résistance l’avaient fait inscrire dans le programme de ce dernier. Aucune opposition ne s’était élevée contre cette revendication ouvrière jusqu’à la Libération. Mais, dès l’entrée en fonction du premier gouvernement de Gaulle, cette opposition se manifesta. On s’efforça de faire traîner les choses en longueur. Puis, dans la discussion de la loi, d’amoindrir le caractère d’efficacité des comités. »[31] Outre les dispositions en matière économique, les Comités d’entreprise ont vocation à s’investir pleinement dans le champ des œuvres sociales et culturelles. La loi stipule, en effet, que les directions d’entreprise doivent rétrocéder au comité la gestion de toutes les « œuvres sociales» qu’elles avaient constituées : « En matière sociale et culturelle, le comité d’entreprise (ou d’établissement) jouit d’un monopole légal. La loi lui a confié en effet la gestion ou le contrôle de la gestion de toutes les activités sociales et culturelles. Les modalités de cette gestion et de ce contrôle peuvent varier, mais le monopole lui-même ne souffre pas d’exception. Le comité d’entreprise assure ou contrôle la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l’entreprise au bénéfice des salariés ou de leurs familles, ou participe à cette gestion quel qu’en soit le mode de financement dans les conditions fixées par décret en conseil d’État. »[32] Pour Maurice Cohen : « le transfert simultané de la gestion d’un important patrimoine social des mains des détenteurs de la richesse économique à celles des représentants élus de leurs salariés, tel qu’il s’est produit en France depuis 1945, est sans doute unique au monde« . Le mode de financement ne sera jamais fixé et beaucoup de CE ne disposeront longtemps que du strict minimum. [33] Néanmoins le cadre légal étant désormais fixé, les tout nouveaux comités d’entreprise sont au pied du mur et ils devront répondre aux immenses enjeux auxquels doit faire face la société française au sortir d’une terrible guerre.
Les premiers pas
Malgré l’enthousiasme et l’énergie des premiers élus, les débuts sont difficiles. Le patronat multiplie les obstacles et tente de reprendre le contrôle des activités sociales qui constituent l’instrument essentiel de sa politique d’asservissement et de pression idéologique. Ainsi la société Michelin à Clermont-Ferrand, a usé pendant de longues années de tous les moyens de procédure pour retarder la gestion par le comité d’établissement des œuvres sociales existantes, aux appellations diverses (œuvres d’hygiène Michelin, arbre de Noël, soupes, colonies de vacances, aides en cas de décès, cantines, coopératives). En sept ans, le transfert des œuvres sociales Michelin donna lieu à quinze décisions de jurisprudence dont quatre arrêts de la Chambre criminelle et de la Cour de cassation. Il faut dire que l’enjeu était de taille, tant en raison du nombre des œuvres sociales, qu’en raison de la valeur de ce patrimoine social. De plus le transfert de celles-ci au comité retirait à la direction son principal outil d’asservissement idéologique. Afin d’aider ses élus dans les comités d’entreprise, la CGT crée un journal mensuel la Revue des Comités d’Entreprise (RCE) dont le premier numéro paraît en avril 1948. Dès ce premier numéro parviennent les échos de certaines difficultés : « Les comités d’entreprise sont encore à la période de rodage. Ils apprennent leur métier, cela ne va pas sans difficultés et sans quelques erreurs. Le rôle de la CGT est de les aider à surmonter les unes et à corriger les autres ».[34] La conférence nationale des comités d’entreprise, qui se tient à Paris les 2 et 3 avril, se clôt le 4 au vélodrome d’hiver par un important discours de Benoît Frachon, mettant l’accent sur l’importance du rôle économique du CE: «Les délégués des comités d’entreprise ont signalé des cas où leur action énergique avait réussi à mettre en échec les tentatives d’étouffement de la production française, tel ce comité d’entreprise de la pastillerie de Vichy qui sut déjouer les manœuvres du trust de la compagnie fermière à Vichy. Celui-ci prétendait faire fermer la pastillerie afin de permettre l’importation des pastilles américaines. Le comité d’entreprise intervint pour obtenir le déblocage des 30 tonnes de sucre qui devaient assurer le fonctionnement de cette industrie. » L’attitude du patronat, qui refuse d’accorder des moyens aux CE et qui multiplie les obstacles et les entraves, constitue un frein au développement des Comités. D’autant que les élus doivent faire face à une autre difficulté, issue de ces propres rangs. La suspicion de collaboration de classe. Les premiers numéros de la Revue des comités d’entreprise font état de la nécessité de bien démarquer les activités sociales de l’ancienne gestion patronale: « Le comité d’entreprise, on l’a répété, est au service des travailleurs et non au service du patronat. Et pourtant, combien de comités se sont laissé orienter vers la collaboration de classes, contribuant ainsi à freiner la combativité des travailleurs. Les patrons sont très habiles et certains ont si bien manœuvré qu’ils ont pris figure de braves pères de famille, aimant leurs ouvriers, et les comités involontairement se sont prêtés à cette manœuvre dangereuse. Les comités d’entreprise doivent travailler à détruire le caractère paternaliste attaché à la réalisation des œuvres sociales, démontrer aux travailleurs que chaque amélioration apportée dans leur condition de travail, dans leur vie propre est le fruit de leur effort, de leur travail et n’est qu’une petite compensation de l’exploitation dont ils sont l’objet. » C’est pour enrayer cette dérive réformiste que la direction de la CGT se voit obligée de rappeler que : « les buts des CE doivent être les suivants :
- Éliminer rapidement l’état d’esprit qui bien souvent préside aux réalisations sociales, reste d’une conception patronale et paternaliste.
- Faire cesser toute ingérence dans la vie privée des travailleurs.
- Cesser les manifestations sociales spectaculaires destinées à faire la réclame de l’entreprise, sans répondre à une utilité réelle.
- Gérer les œuvres sociales dans le seul intérêt des travailleurs. »
Si, pour certains élus, « il faut assurer aux œuvres sociales une gestion autonome sans immixtion patronale », d’autres en revanche tiennent à « souligner qu’il n’est pas obligatoire de changer la conseillère du travail de la direction des œuvres sociales de l’entreprise ».Le débat sera parfois rude entre les militants, mais très majoritairement, les élus de la CGT engagent une gestion des œuvres sociales opposée à la mentalité paternaliste et caritative d’avant et réclament que le patronat en soit totalement exclu. Certains comités ont plus de difficultés à s’affranchir de la gestion paternaliste, espérant ainsi disposer de moyens plus importants, à l’image du comité d’entreprise de la société Astra : « Des réalisations sociales existaient déjà lors de la création du comité. Le décret nous donnait la possibilité de revendiquer la gestion de certaines de ces œuvres. Toutefois, l’octroi pour cette gestion d’une somme fixe, comme l’indiquait le décret, ne pouvait que limiter pour l’avenir nos moyens d’action. Comme d’autre part il était à craindre de voir l’activité du comité pratiquement absorbée par cette tâche, le comité a préféré participer activement au développement de ces œuvres avec les assistantes sociales dont le concours n’a jamais fait défaut. »
Le débat qui s’engage dans les pages de la RCE à propos de cette attitude est particulièrement révélateur des questions qui assaillent les élus de CE. Si certains comités sont suspectés de pactiser avec le patron, il n’en est pas moins vrai que le fond du débat politique ne recouvre pas, pli contre pli, la frontière entre ceux qui assument le contrôle et la gestion des œuvres sociales héritées de la période paternaliste, et ceux qui, par méfiance ou par calcul, préfèrent garder leur distance avec ces activités. D’un côté, ceux, proches de la social-démocratie, qui ne souhaitent pas se démarquer de la gestion paternaliste et qui, pour l’essentiel, rejoindront les rangs de Force ouvrière dès la scission, en 1947. A l’autre extrémité, les héritiers de l’anarcho-syndicalisme, qui se méfient de la gestion, synonyme pour eux de collaboration de classe et qui « déplorent le gaspillage des forces militantes laissées dans la gestionnite ». [35]Ces rappels à l’ordre confirment combien la tâche des premiers élus fut rude, et combien furent nombreux les pièges tendus. Benoît Frachon le reconnait dans un article publié dans l’Humanité : « Evidemment on ne peut être glorieux de tomber dans les pièges de l’ennemi de classe. Mais la honte ne vient que lorsqu’on s’y complait ». Le secrétaire général de la CGT s’en prend ici à ceux qu’il nomme à plusieurs reprises de « portes serviettes », sous-entendu les portes serviettes de la direction, à qui il reproche de « se promener dans les ateliers, l’air affairé ».
Il faudra quelques années pour que les CE trouvent leurs marques, se dégagent d’un siècle de paternalisme et affirment leur propre singularités : « N’est-il pas vrai que jusqu’alors ces activités culturelles, car elles existent dans maint et maint comité d’entreprise, n’ont aucune orientation rationnelle? Ce serait une faute impardonnable, quand nous avons l’avantage dans des milliers d’entreprises de pouvoir assurer le pain de l’esprit aux travailleurs avides de connaître et de s’éduquer, de leur servir la camelote ennemie. »
Si les premiers pas des comités d’entreprise furent parfois hasardeux et la démarche chancelante, il n’en reste pas moins vrai que très rapidement, s’affirme une attitude spécifique.
Les 5 grandes phases
Depuis leur création en 1945, au sortir de la guerre, les comités d’entreprise ont accompagné les nombreuses évolutions de la société. Bien des mutations se sont en effet succédé au cours de ces sept décennies, de la reconstruction du pays aux événements de mai 68, du baby-boom au trente glorieuses, du théâtre populaire au mass-média, de la bataille du livre au livre numérique, du microsillon vinyle au téléchargement, notre paysage culturel s’est modifié en profondeur. Les CE ont, avec leur apport original et spécifique, contribué à façonner ce paysage tout en refusant et en agissant afin de réduire les profondes ségrégations sociales et culturelles
Cinq grandes phases rythment cette histoire. La première est liée à la nécessaire reconstruction du pays au sortir de la guerre, la seconde marque l’affranchissement des CE qui deviennent des constructeurs en creusant leur propre sillon. La troisième et la quatrième phase permettront le développement puis l’élargissement de leurs actions et réalisations, accompagnant les mutations sociales, économiques, culturelles et technologiques, d’une société qui s’apprête à sortir des trente-glorieuses, pour entrer dans la crise. Crise que la victoire de la gauche en 1981 atténuera, pour un temps, en reconnaissant enfin le rôle décisif qu’ont joué, avec leur propre partition, les CE dans cette belle aventure culturelle.
1- La Reconstruction
Dès leur mise en place, les comités d’entreprise sont confrontés à la dure situation d’un pays tout juste sorti de la guerre. La France paye un lourd tribu, aux millions de pertes humaines s’ajoutent les destructions industrielles. Le pays est à reconstruire, l’économie à relever. Ceux qui ont libéré la nation doivent désormais gagner la bataille de la production. Le grand patronat entaché par de nombreux cas de collaboration avec l’ennemi n’est pas en mesure de contester l’autorité acquise par la classe ouvrière.
Aussi, tout naturellement, le monde ouvrier qui a très largement participé à cette libération va s’investir dans ce que l’on nomme « la Reconstruction », celle-ci comporte à la fois le relèvement économique et industriel du pays, mais aussi la reconstitution de la dignité et de la santé des personnes.
Aux Houillères du Bassin du Nord et du Pas de Calais, sur les 8700 agents que compte l’entreprise, 1300 étaient prisonniers de guerre. L’hommage aux morts, aux déportés, aux blessés est l’une des premières préoccupations des CE. La première action du CE de la Compagnie Massey-Harris, société de construction de machines agricoles (1400 salariés à Marquette-Lez-Lille) sera de contribuer à « l’érection d’une stèle en souvenir de nos malheureux camarades morts à Buchenwald, Dachau et autres lieux »
Dans le contexte de la guerre froide, sous l’impulsion du Parti communiste et de la CGT largement majoritaire dans les grandes entreprises, les comités d’entreprise s’engagent dans le Mouvement de la Paix, militent pour l’appel de Stockholm et contre l’armement nucléaire. Ils aident les soldats hostiles aux guerres coloniales et soutiennent les grévistes qui bloquent les ports lors de la guerre d’Indochine.
Ils s’engagent également avec détermination dans la « bataille pour la production » que prône le ministre de la production industrielle, le communiste Marcel Paul. La toute première phase de l’histoire des CE conjugue en même temps la bataille pour la production et les questions de santé publique, comme le confirme ce rapport d’installation du CE des Aciéries du Nord adressé aux élus : la première des tâches qui lui est assignée est de galvaniser le personnel pour intensifier l’effort productif : » il doit prendre un ascendant suffisant sur le personnel ouvrier pour lui faire abandonner, peu à peu, l’attitude de méfiance qu’il adoptait avec quelques raison contre les initiatives destinées autrefois à accélérer la production… Parallèlement, il doit prendre immédiatement en mains les problèmes sociaux, pour montrer à tous les camarades que l’effort productif demandé est déjà récompensé par un résultat tangible ». [36]
Cette « Reconstruction Nationale» mobilise les tout jeunes CE, et il n’est donc pas surprenant de constater que les premières mesures qu’ils prendront concernent la santé publique. Ce problème particulièrement sensible conduira les CE à investir dans une première phase trois domaines :
-Le ravitaillement et la restauration collective
-Les colonies de vacances et les vacances
-Les activités physiques et sportives
Le procès-verbal de la première séance du CCOS, (CE d’EDF), aujourd’hui CCAS, qui se réuni le 20février 1947 en témoigne qui : « décide la création de commissions pour l’étude des questions suivantes :
-Colonies de vacances
-Dispensaires, clinique, sanatoria, préventorium
-Cantines
-Sociétés de jardinage, loisirs, sport. »[37]
-Du ravitaillement à la restauration collective
La situation économique est catastrophique. L’indice de la production industrielle est tombé à 38 en 1944 contre 100 en 1938 et un parisien ne dispose que de 1200 calories journalières en septembre 1944.
Comme le souligna Pierre Levy, ancien résistant, lors du colloque de Roubaix en 1996 :
« Il faut s’imprégner de la situation particulière à cette époque, le chômage est énorme, les usines détruites, les voies de communication incertaines, l’inflation est importante, on manque de tout. Il y a des cartes de rationnement pour le pain, la viande, la nourriture, le lait, le tabac, les textiles… ».[38]
Cette situation de pénurie alimentaire n’est pas sans conséquence sur la santé des salariés comme le confirme ce tract émanant du CE de la Redoute de Roubaix en 1945 :
« Dans les circonstances actuelles, après plusieurs années de privation, et devant l’insuffisance du ravitaillement, il n’est pas rare de voir des ouvriers dans l’obligation de quitter le travail pour cause de maladie. Afin d’éviter certaines observations qui peuvent être injustes à leur égard, il serait nécessaire que chaque membre du personnel puisse passer une visite médicale. ». En effet la santé précaire des travailleurs nui à la bonne marche de l’entreprise comme en témoigne en 1948, R.Lauth, secrétaire du CE de la Manufacture parisienne de confection rendant compte de trois ans d’activité d’un comité d’entreprise : « Dans le domaine des œuvres sociales nous avons obtenu la visite médicale obligatoire pour le personnel nouvellement .embauché, ceci pour limiter les risques de contagion et les arrêts de travail trop fréquents nuisibles à un bon rendement collectif ».[39]
Confronté au problème du rationnement qui pèse lourdement sur des salariés affaiblis par 6 ans de guerre, les tout jeunes comités d’entreprise font le choix de s’investir sur cette question de santé publique.
C’est ainsi que le CE des Filatures d’Auchy-les-Hesdin décide en juin 1945« de créer dans chaque atelier un réfectoire pour permettre aux ouvriers de prendre leur repas dans des conditions d’hygiène les meilleures possibles. Il est décidé également de créer une infirmerie »
D’autres CE s’investissent en créant des coopératives ouvrières afin de faire baisser le prix des aliments : »les demandes en pommes de terre ont été nombreuses. Nous avons enregistré une quantité de 30 000kgs par mois soit environ 120 000kgs de septembre à décembre. Nous espérons un accord avec le fournisseur. Dans ce cas, il sera nécessaire d’envisager une répartition suivant le nombre de personnes par ménage.». [40]
C’est de cette volonté de prendre à bras le corps cette décisive question de santé publique, dans une France rationnée, que naîtra le terme des « Comités patates« .
D’autres CE aident à la création de jardins ouvriers, afin de permettre à ceux-ci d’améliorer leur bien frugal ordinaire.
Les trois-cinquièmes de la première subvention du CE Snecma de Gennevilliers, créé en 1945, seront consacrés « aux cantines et aux questions de ravitaillement, d’aide alimentaire pour les salariés, d’approvisionnement en produit alimentaires, en combustibles. Des élevages de cochons et de volailles, des expéditions de ravitaillement en province, où l’on a des connaissances, permettant l’achat de stocks de pommes de terre, sont pris en charge ou organisés par le comité qui assure ainsi la répartition par le biais des cantines ou par des ventes directes. L’hiver 1946 est ponctué par des ventes de charbon ».[41]
Fin 1947, le CCOS qui gère douze cantines dans la région parisienne assure 140 000 repas par mois.[42]
Dans un très grand nombre de CE la question de la restauration est la première des priorités. Ceux qui aujourd’hui ironisent sur les cantines feraient bien de se souvenir dans quel état de santé étaient les salariés.
Par la suite « la cantine » s’institutionnalise pour devenir l’une des activités permanente des CE, elle se transformera progressivement en « restaurant d’entreprise » et elle s’adaptera aux évolutions du goût et des pratiques alimentaires, autant qu’aux progrès technologiques, et aux nouvelles normes sanitaires. Moment de détente et de convivialité, la pause repas constitue un rendez-vous apprécié d’échange et de rencontre. Le restaurant d’entreprise est aussi souvent un espace dans lequel sont proposées des expositions ou des animations musicales. Des repas « thématiques » permettent de découvrir d’autres cultures.
Les colonies de vacances et les vacances
Si la santé des salariés préoccupe au plus haut point les élus des CE, celle de leurs enfants les concernent aussi. C’est la raison pour laquelle la création de colonie de vacances sera leur seconde priorité.
En 1946, le CE de la Snecma enverra « 1141 enfants en colonie de vacances soit 46 050 journées d’air pur. Ce qui leur permet d’acquérir une augmentation individuelle de poids de 1 à 5 kg, en plus de la provision de santé et de force qu’ils ont emmagasinée, grâce auxquelles ils ont passé l’hiver dans une condition physique plus résistante ».
Les élus comptent les kilos pris et se félicitent « de retrouver des enfants aux joues roses ».[43]
Dès sa création en 1947 le CCOS envoie 6492 enfants âgés de 6 à 14, dans 37 colonies et 4 camps sous tentes. Trois ans plus tard, 20 000 enfants seront reçus dans 62 centres. Pourtant comme l’indique l’un de ces militants de l’époque : »De plus il fallait convaincre les gens car à l’époque, il n’était pas évident de laisser partir ses enfants». En effet c’était bien souvent la première fois que les enfants quittaient leurs parents.[44]
Bien évidemment, à cette époque ou le pays est entièrement à reconstruire, rien n’existe pour accueillir enfants et parents, tout est à créer, à inventer. Les deux ans, à peine, que durèrent le Front populaire n’avait pas permis de doter le territoire des infrastructures nécessaires pourtant rendue nécessaires par l’augmentation importante du temps libre. Les CE doivent acheter des terrains et dans l’urgence les aménager
C’est en 1946 qu’apparaissent les premiers camps pour les pré-adolescents de 12/14 ans.
Les premiers villages vacances
Le besoin de repos, de vacances est plus que jamais à l’ordre du jour au sortir de la guerre et c’est aux CE qu’échoit de réaliser ce que le front populaire n’a pas eu le temps de concrétiser, à savoir la création d’un réseau de tourisme social.
Créés en 1944 dans la dynamique du Conseil National de la Résistance et dans celle de la Libération du Pays, les tous premiers CE décident de mutualiser leurs moyens au sein d’une Fédération Nationale de Tourisme Social qui prendra pour nom : « Tourisme et Travail ».
C’est dès Août 1946, que Tourisme et Travail ouvre le premier centre de vacances dans le hameau de Theix près de Clermont-Ferrand. En 1947, le CCOS créé un département Jeunesse-sports-loisirs, en 1948 il édite une brochure comportant une liste d’hôtels et restaurants présentant le meilleur rapport qualité/prix. Les premières vacances à la neige eurent lieu à la CCAS en 1948 à Saint-Jean-de-Sixt, en Haute-Savoie : « C’était l’époque où on fixait des peaux de phoques sous les skis pour remonter les pentes » [45] En 1949, le CCOS entreprenait « à titre expérimental » l’organisation des premières vacances adultes et familles sous tentes. Cet été-là, trois villages sous toiles étaient aménagés, deux dans les alpes et un dans le var. Les plus anciens se souviennent : « On faisait avec ce qu’on pouvait, avec ce qu’on trouvait alors, au sortir de la guerre, des toiles qui avaient un peu l’aspect rébarbatif des tentes militaires. Pour le matériel, le nécessaire, pas plus. Pas de séparation du reste de la tente pour la partie couchage : la tente était surtout un abri qui nous mettait à couvert pour la nuit et nous protégeait des intempéries. Le plus clair du temps on le passait dehors. Le village de toiles est d’abord un village. Le village, comme tout lieu d’habitat humain où se forment des groupes, possède sa vie propre, sa personnalité, son originalité. [46]L’organisation des vacances pour adultes, qui répondait à une réelle aspiration, prit un rapide essor, puisque dès 1950 quinze nouveaux centres situés dans les Alpes, dans les Pyrénées, en Alsace, sur la côte d’azur, en Charente, en Bretagne et en Gironde, virent le jour.
En 1951, 25 villages de toile accueillaient environ dix-mille personnes chaque été. En 1964 le CCOS propose 64 villages.
Les activités physiques et sportives
L’organisation d’activités physiques et sportives participent de cette volonté d’améliorer la santé du plus grand nombre, comme le déclare Marcel Paul, Président du CCOS : « Notre jeunesse saine, forte et joyeuse, se dirige de plus en plus vers les terrains de sport. Ecartant ainsi la maladie et la déficience, elle deviendra le grand rassemblement d’hommes et de femmes d’où jailliront l’initiative et la hardiesse nécessaires pour la production toujours accrue des moyens énergétiques, essentiels pour la renaissance de notre pays »
« Il n’est pas d’action plus attachante que d’œuvrer à l’amélioration de la santé de la jeunesse en même temps qu’à son développement moral, intellectuel et physique ».[47]
En 1947, la section sport du CCOS contrôle les activités de 65 clubs sportifs représentant environ 10 000 sportifs. Un an plus tard 84 associations sportives regroupant plus de 13 000 sportifs sont subventionnées par le CCOS. En 1950, 120 clubs sportifs recensent 22 000 membres, 9 challenges sportifs portant le nom de héros de la Résistance sont créés.[48]
La réglementation générale des activités sportives du CCOS, édictée en 1948, stipule dans son chapitre sur les règles morales : « Et lorsque la joute terminée, vainqueurs et vaincus, harassés souvent, mais fraternellement unis sous le signe du sport, regagnent leurs vestiaires, malgré la sueur et la boue qui couvrent leur visage et leur corps, les sportifs se doivent de demeurer un exemple. » [49]
Le CE Snecma, lui aussi prend cette question à bras le corps comme en témoigne en 1948 ces propos de R. Sellier secrétaire du CE : « Le sport a pris un développement considérable dans nos usines. Des terrains ont été aménagés pour le football, le rugby, l’athlétisme, le basket, le tennis … Sur le plan des sports aériens il a été fait un gros effort pour un large développement de la pratique du modèle réduit. C’est avec une foi ardente et mûrie par l’épreuve qu’ont été traitées les importantes questions ayant trait à l’initiation de la jeunesse aux sports aériens : vols à voile et vols sur « stamp » sont pratiqués sur différents terrains. L’aéro-club de la Snecma compte près de 200 adhérents » [50]
C’est grâce à leur comité d’entreprise qu’un grand nombre de salariés et leurs enfants ont découvert les vacances d’hiver, la haute montagne, pratiqué le ski, la plongée sous-marine ou le tennis. La panoplie des activités physiques et sportives proposées par les CE s’est substantiellement élargie au fil des années. Aux clubs de football se sont adjointes progressivement des sections cyclistes, rugby, tennis, nautisme, golf…
2- La Construction
Après cette nécessaire période de reconstruction, les CE inaugurent une nouvelle étape celle de la construction de leurs propres activités sociales et culturelles. Cette nouvelle phase se donne à lire, lorsque dans le discours syndical, à la notion « d’œuvres sociales » se substitue celle : « d’activités sociales et culturelles ».[51]Ce glissement sémantique, traduit en réalité une profonde volonté de rupture. Affranchi du paternalisme, et de l’effort de reconstruction du pays, qui a bridés leurs premiers pas, les CE à l’orée du « baby-boom » et des « trente glorieuses », peuvent enfin chercher leur propre voie et creuser leur singularité. Héritiers du Front populaire et du prometteur compagnonnage entre artistes et ouvriers, les CE, dans cette seconde phase de leur histoire renouent avec les milieux artistiques et culturels. C’est donc presque naturellement que les Comités d’entreprises vont devenir des espaces de médiation culturelle, et puisque les ouvriers ne fréquentent pas, ou peu, les lieux où la création artistique s’expose, il conviendra de créer les conditions pour que les œuvres viennent à la rencontre des ouvriers sur leur lieu de travail. L’argumentation syndicale est en ce domaine des plus claires : « Il faut raccourcir la distance ! ». [52]Le compositeur et chef d’orchestre Roger Désormière, à l’origine du groupe « Société française Arts et Travail » sera l’un des premiers à abonder en ce sens : « pour donner à la musique une diffusion plus intense et plus large, une pénétration plus profonde, voyons les comités d’entreprise. Chaque fois que cela sera possible c’est au siège même de l’entreprise qu’il y aura intérêt à amener chanteurs, solistes et instrumentistes pour faire entendre aux ouvriers les programmes choisis. Les ouvriers dans la majeure partie des cas, ne peuvent aller vers la musique. Il s’agit de faire venir la musique à eux ».[53] Même constat, à propos du théâtre en 1949, sous la plume du secrétaire général de la fédération CGT du spectacle, Jacques Marion « Puisque les conditions d’existence ne permettent pas aux travailleurs d’aller au théâtre, il faut que le théâtre aille à eux ».[54] La volonté syndicale « d’apporter au théâtre un sang nouveau » s’était manifestée dès 1945 lorsque le syndicat des artistes CGT avait obtenu, à la suite d’une longue négociation avec le syndicat des directeurs de théâtre, des tarifs réduits pour les salariés, par le biais du « billet syndical ». Pour le metteur en scène Charles Dullin, qui en fut l’un des principaux artisans, cette initiative avait pour but : « de permettre au public ouvrier d’assister dans des conditions exceptionnelles aux meilleurs spectacles qui se donnent à Paris. Grâce à cela, ils se trouveront conviés à des délassements choisis, plus élevés et plus riches d’enseignement humain ; c’est sur le plan social, humain, généreux, qu’il faut placer cette entreprise ».[55] Progressivement ce « billet syndical », que diffusait les militants de la CGT auprès de leur collègues de travail, élargira son cercle parisien et inspirera d’autres militants tels ceux de la CCAS, qui expliquent à leurs ressortissants qu’un « système très simple de billets à tarifs réduits a été mis au point et, actuellement de nombreux agents et leurs familles fréquentent les salles parisiennes ».[56] Prenant en compte l’expérience du « billet syndical » et y ajoutant sa propre et profonde détermination Jean Vilar perfectionnera ce système. Dès sa nomination à la direction du Théâtre National Populaire en septembre 1951, Jean Vilar fait part de son « intention de développer les contacts avec les organismes syndicaux, les comités d’entreprise et les mouvements de jeunesse ».[57]L’incitation à « raccourcir la distance » entre les œuvres du patrimoine et les ouvriers est partagée par les CE, à l’instar de celui du Crédit Lyonnais de Paris : « Paris regorge de trésors artistiques et culturels. Or qu’est-il fait pour qu’ils soient mis à la disposition de toutes et de tous ? C’est pourquoi le comité d’établissement expose des œuvres d’art au sein même de l’entreprise. Hier des tapisseries de Lurçat, aujourd’hui des lithographies originales de Picasso ».[58]Ce qui vaut pour la musique, le théâtre et les arts-plastiques, vaut aussi et surtout pour la lecture. Les bibliothèques constitueront le fer de lance de la politique culturelle des CE dans cette phase de construction. Quelques mois après sa création, le CCOS d’EDF-GDF décide en 1949 de doter les 92 Caisses d’Activités Sociale d’un premier fond de livres afin de constituer de premières bibliothèques. Une première dotation de 25 000 ouvrages, suivie d’une seconde aussi importante, permet de « faire pénétrer partout, jusque dans les endroits les plus reculés, jusqu’aux agents les plus isolés, les œuvres classiques et contemporaines de la littérature, de la pensée française et étrangère ». En décembre 1950, les élus proposent « qu’une commission soit chargée d’établir un catalogue d’ouvrages » et ils élaborent un règlement des bibliothèques à l’intention des lecteurs. Si celui-ci précise les responsabilités et le « rôle capital du bibliothécaire, placé sous l’autorité du Président de CAS » il insiste également sur les devoirs des « candidats lecteurs » : « Se cultiver est un devoir envers soi-même ». [59] C’est au début de l’année 1950 qu’Elsa Triolet et Louis Aragon lancent leur grande croisade pour la lecture, intitulée, on ne peut pas plus explicitement « La bataille du livre ».[60] De mars 1950 à mars 1952, les « batailles du livre » se déplacent dans les Bouches du Rhône, à Paris, en banlieue, en Corse, dans le Nord et le Pas de Calais, les Alpes Maritimes, le Gard, le Rhône, le Loir et Cher, la Loire, Toulouse, le Vaucluse, L’Indre, l’Hérault, la Meurthe et Moselle et la Seine. Pour Elsa Triolet il faut aller chercher les lecteurs là où ils se trouvent : « Puisque les libraires ne veulent pas de nous, puisque les organismes de diffusion ne nous diffusent pas, il faudrait chercher des moyens pour nous passer d‘eux et atteindre les lecteurs sans intermédiaires. Car ce n’est pas le lecteur qui refuse nos livres, ce sont les intermédiaires qui les cachent ou les refusent aux lecteurs. »[61]. En 1951 seront créés les BBL, « Bibliothèques de la Bataille du Livre », à destination des Comités d’entreprise, « il s’agit de trois petits meubles placés au plus près des lieux de travail. Les trois petites bibliothèques proposées étaient forts modeste. La BBL A comprenait 27 volumes, la BBL B, 27 volumes s’ajoutant à la première tranche ; la BBL C, comprenait les 54 premiers volumes plus une nouvelle tranche de 25 ». Le CE de la RATP « animé par le souci de concerner le plus de travailleurs possible » sera l’un des premiers à faire l’acquisition de ces BBL : « vingt-cinq petites bibliothèques mobiles dans les ateliers. Un même but : mettre les livres là où se trouvent les travailleurs. Ici pas de catalogue somptueux, pas de fichiers compliqués, mais des meubles extrêmement simples placés là où il faut. Chacune est placée sous la responsabilité d’un camarade désigné parmi les travailleurs ».[62] Cette dématérialisation du livre au plus près des lieux de travail est une constante observée dans presque tous les comités d’entreprise. Elle s’accompagne d’une politique d’animation autour du livre, c’est- à-dire des rencontres, des débats, des causeries sur un livre, un auteur ou un thème. Le Comité d’Entreprise de Renault Billancourt organise en 1956 une animation autour du roman de Roger Vaillant « 325 000 francs », en associant littérature, sport et cinéma. « Un écrivain Roger Vaillant, prix interallié, vous parlera de son roman ; une actrice Jeanne Moreau (la petite fleuriste de Pygmalion), vous lira quelques pages de 325 000 francs ; un champion, Jean Robic (le populaire-Biquet), sera présent pour évoquer l’ambiance de la course cycliste décrite dans le roman ». Les « accroches », comme diraient les publicitaires, sont ici multiples. Elles font référence aux différents univers de légitimité auxquels peuvent être sensibles les travailleurs de l’usine, celui de la pratique d’un sport populaire, celui de la notoriété d’une artiste du spectacle et d’un écrivain célèbre. Fréquentée par 528 travailleurs en 1958, la bibliothèque de la SNECMA, dans le treizième arrondissement de Paris, enregistre 1272 inscrits en février 1961, soit 34% du personnel. Cette progression s’explique par l’audacieuse animation organisée autour de la bibliothèque. En 1961 la bibliothèque de Renault Billancourt compte 45 000 livres et prête chaque jour 595 livres, une grande fête est organisée au Palais Chaillot pour célébrer l’achat du 45 000ème livre. Les livres et les écrivains ne sont pas les seuls à venir à la rencontre des salariés sur leur lieu de travail. En 1954, Fernand Léger expose, dans l’une des cantines de Renault-Billancourt, pour la première et unique fois l’intégralité de sa prestigieuse série intitulée « Les Constructeurs ». Fernand Léger, présent en permanence près de ses œuvres avec les ouvriers, a relaté cette expérience.[63]Grâce à Jean Cassou, directeur du Musée d’Art Moderne, la direction des musées de France, accepte de « prêter » en 1961, au comité d’entreprise Renault Billancourt « 34 chefs d’œuvres authentiques décrochés des cimaises du Louvre, du Musée des Impressionnistes et du Musée d’Art Moderne ». Cette exposition sera présentée dans l’une des cantines de l’usine. « La cantine », diront les élus qui commencent à manifester quelques doutes sur l’efficacité de ce type de médiation, « n’est certes pas un lieu idéal d’exposition, mais l’essentiel était de placer ces chefs-d’œuvre dans un lieu fréquenté par les travailleurs ». Parmi les œuvres exposées : Vernet, Corot, Daubigny, Courbet, Sisley, Monet, Marquet, Utrillo, Gromaire. Le monde du travail sort enfin de son relatif anonymat, il devient source de curiosité et d’intérêt. De nombreux artistes manifestent leur volonté de rencontrer, sur leur lieu de travail, ce public qui assure leur succès populaire. Les rites et les « fêtes calendaires », si bien étudiés par l’ethnologue Noëlle Gérôme, leur permettent de rencontrer de façon festive ce public populaire.[64]La fête de la Saint-Eloi, patron des métallurgistes, est ainsi l’occasion pour le CE Renault Billancourt d’organiser de riches rencontres, ainsi en 1954 : « Apprentis, jeunes professionnels, stagiaires, le samedi 30 novembre au traditionnel repas de la Saint-Eloi, vous déjeunerez avec Gilbert Bécaud, Yves Deniau, Cora Vaucaire. Jean Bobet, Maurice Baquet, René Gary, Antoni Magne, Jo Lefévre et Gérard Philippe ». L’année suivante les invités du repas de la Saint-Eloi seront Yves Montand, Simone Signoret, Raymond Bussière, Annette Poivre, le trio Raisner, le trio Erivan, l’accordéoniste Serge Carini (un ouvrier de l’usine formé à la section accordéon du CE), le compositeur Jean Wiener, la chanteuse Marie Laurence, le jeune fantaisiste François Deguelt. C’est de ce compagnonnage que naitra l’aventure mythique du TNP. Jean Vilar et ses acteurs, Gérard Philippe, Georges Wilson, Maria Casarès, Phillipe Noiret, se rendront dans de nombreuses entreprises pour dialoguer avec les ouvriers et échanger leurs savoir-faire. Cette complicité, nouée à partir de la culture du travail constituera le socle rendant possible la venue des ouvriers au théâtre. En 1954 se déroule la première nuit « Loisirs et culture » 2700 spectateurs sont accueillis en musique au TNP, qui consacre une partie de la soirée, à l’élection de la catherinette Renault. Le jury est composé de Jean Vilar, Bernard Blier, Jean Deschamps, Monique Chaumette, Yves Montand et Gérard Philippe. En novembre 1955, la deuxième nuit de « Loisirs et culture » adoptera sa formule définitive : apéritif-concert à 19h30, spectacle de théâtre, puis bal et attraction. Cette formule est proposée par Jean Vilar : « quand les portes de l’usine ferment, celles du théâtre s’ouvrent ».[65]Le vendredi 5 février 1954, Jean Vilar « dialogue avec les ouvriers et les employés des usines Renault dans leur local » à l’occasion de son prochain spectacle « Ruy Blas ». Ce dialogue portera ses fruits puisque quinze jours plus tard, lors de la première représentation « devant une salle composée uniquement des membres des groupements populaires » Jean Vilar dira : « le public a admirablement joué sa partie ».[66]Afin que ce public populaire cher à Jean Vilar, soit encore plus nombreux à « jouer sa partie », le TNP avance en janvier 1955 le début de ses spectacles d’une heure (de 21h à 20h).[67]Dans une note à la presse datée du 1er janvier 1956 Jean Vilar précise : « le TNP souhaite que ses spectacles soient suivis par un nombre plus grand encore de ceux dont le salaire est bas, dont le travail est ingrat, dont les charges sont lourdes » ; et Jean Vilar de rendre hommage aux associations et aux CE : « Nous ne pouvons rien faire sans leur concours total. Le jour où cette affection croissante nous sera retirée, je ne crois pas que le directeur que je suis pourra poursuivre utilement sa tâche ».[68]De fait, l’engagement des CE est bien réel et porte ses fruits, le CE de Nord-Aviation, par exemple, diffuse 15 000 places de spectacles et compte 450 abonnements pour cinq pièces soit 2 250 places, le situant « comme le meilleur diffuseur du TNP sur la région parisienne », le CE de la Caisse Primaire de Sécurité Sociale totalise pour sa part cent abonnements. Le concours des CE s’inscrit dans la durée puisque le CE Hispano se félicite d’une progression importante des locations : « contre 1146 places louées en 60-61 nous atteignons 2456 locations en 63-64 ». Le soutien des comités d’entreprise et de la CGT à l’aventure du TNP s’étend aussi au festival d’Avignon. Paul Puaux qui fut un proche de Jean Vilar, avant de devenir lui-même directeur du festival, a raconté ses nombreuses rencontres avec les comités d’entreprise de l’Electro-Réfractaire, du club des cheminots, de la Caisse d’Allocations Familiales, de la Poudrerie de Sorgues. Les cheminots qui objectèrent à Paul Puaux que la lutte pour les revendications sociales d’alors passait avant le théâtre se souviennent encore sans doute de la réponse de ce dernier : « Si vous attendez la fin de ces luttes pour vous intéresser à la culture, vous ne vous y intéresserez jamais, alors qu’elle peut vous aider ».[69]Le même Paul Puaux rendra un hommage appuyé aux militants des CE : « Nous ne dirons jamais assez le mérite de ces militants des comités d’entreprise qui, comme Lucien Bourdiol, ou comme M.Coulet, du comité d’entreprise Rhône Progyl à Salindres, près d’Alès, parvenaient à louer plus de mille places chaque année ». Les rencontres dans les entreprises avec les comédiens sont l’occasion de démystifier le mythe de la création, c’est sans doute, écrit Paul Puaux, « ce que le festival et Jean Vilar ont apporté de plus intéressant à ceux qui, en général ne voient qu’un produit abouti ». C’est en tout cas ce qui a marqué les ouvriers de plusieurs comités d’entreprise au cours de leurs contacts avec les artistes, comme l’expriment ces propos de Lucien Bourdiol de l’Electro-Réfractaire : « Je me rappelle la visite de la comédienne Denise Gence, qui nous parla avec beaucoup d’amour de son métier, de Marcel Marceau qui a commencé à faire des démonstrations. Avron et Evrard passionnaient nos camarades… Pierre Constant, lui, vint avec son spectacle, « Le jeu de Robin et Marion ». Les discussions allaient bon train. Je me rappelle la demande écrite, mais à condition de disposer une rangée de palettes pour ne pas distraire le personnel dans son travail. Plus tard, je me suis entendu dire par le sous-directeur que notre rôle avant tout était de faire des blocs et non du cirque ». Les ouvriers ne sont pas les seuls à découvrir une réalité de travail différente de la leur, et Sonia Debauvais, chargée des relations avec les comités d’entreprise, qui accompagnait souvent les comédiens dans leurs visites aux CE, se souvient, par exemple, de cette journée à l’Electro-Réfractaire avec les comédiens français : « Après la discussion, simple et détendue, on nous convia à rester déjeuner à la cantine de l’usine, et les comédiens demandèrent s’il était possible de visiter l’usine. On nous fit entrer dans un hall immense couvert d’une verrière sur laquelle le soleil tapait dur. La chaleur était à la limite du supportable. Une épaisse poussière flottait dans l’air. Devant des fours chauffés à 3 000°, des ouvriers casqués et gantés s’affairaient à sortir des charges de briques incandescentes. On nous expliqua que bien entendu, les fours ne s’éteignant jamais, le personnel vivait au rythme des 3X8. Et là, devant ce spectacle dantesque, alors que des briques chauffées à blanc passaient au-dessus de nos têtes sur des plates-formes mobiles, je sentis tout à coup, avec une acuité aveuglante, que notre démarche était à la limite de la décence. Quoi ! Nous venions ici, avec nos belles idées sur la culture populaire, dire à ces hommes : comment, vous ne voulez pas venir voir Richard III de Shakespeare, ce soir ? Vous avez bien tort. J’aurai voulu conduire dans ce hall toutes les belles âmes qui parlent avec une condescendance paternaliste, de la non-venue des ouvriers au théâtre ».[70] Les plus jeunes ne sont pas oubliés et après avoir consolidé et développé un vaste réseau de colonie de vacances, plusieurs comités d’entreprise décident de mettre leurs moyens en commun pour proposer des spectacles aux enfants dans le cadre de noël. en 1956, 35 comités d’entreprise, dont ceux d’Air-France, de la SNECMA, d’IBM, du Crédit Lyonnais, de Bull, de la Société Générale, de Kléber-Colombes, de la CCAS, s’associent avec Travail et Culture pour organiser, au parc des expositions de la porte de Versailles, « L’arbre de Noël » des enfants avec le cirque Bouglione. Il s’agit d’une première expérience prometteuse qui sera suivit de beaucoup d’autres et « L’arbre de noël » au fil des ans s’institutionnalisera.
Donner les clés
Assez vite les élus mesureront que « la distance » n’est pas seulement géographique, mais qu’elle est aussi pédagogique. Par conséquent raccourcir la distance géographique, si elle est condition nécessaire n’est pas suffisante pour résoudre les autres facteurs ségrégatifs tels que l’absence d’enseignement artistique. Les élus du CE du Crédit Lyonnais l’avouent au demeurant avec humilité : « Ainsi nous vous montrons le chemin qui mène aux vraies richesses. Mais le parcours n’est pas droit et nous devons éviter les épines ». [71]Les élus d’Hispano-Suiza, eux aussi, s’interrogent : « Pris par d’autres activités, considérant souvent les problèmes culturels comme ayant un importance secondaire, nous partions avec le handicap certain du manque d’éducation et de formation technique nécessaire. L’orientation de la culture populaire doit toujours être résolument placée vers l’avenir, vers le développement, de l’inférieur au supérieur, du simple au complexe, contre les positions rétrogrades et réactionnaires ».[72] C’est pour remédier à ce manque d’éducation que ce CE organisera régulièrement des activités pédagogiques dans la salle des loisirs après les heures de travail. Une programmation, digne du collège de France, héritière des Universités Ouvrières et précurseurs des Universités Populaires, est bâtie pour l’année 1962, au programme les conférences suivantes :
- – « Humanisme et biologie »
- – « L’homme de l’an 2000 » par Jean Rostand de l’Académie française.
- – « Chirurgie à cœur ouvert » par André Thomas, professeur à la Sorbonne
- – « Physique nucléaire et radioactivité » par Hélène Langevin
- – « Le rôle de la femme dans la société moderne » par Simone de Beauvoir, écrivain, prix Goncourt 1954
- – « L’URSS à cœur ouvert » par André Wurmser et Louise Mamiac
- – « L’art de lire un tableau » par René Huygues de l’Académie française
- – « Victoire sur l’espace » par Albert Ducroq, collaborateur scientifique de la RTF
- – « Le métier de parent » par l’Hotelier, psychologue, assistant à la faculté de Rennes
- – « Perspectives de l’homme » par Roger Garaudy, docteur ès lettres, agrégé d’université, directeur du Centre d’études et de recherches marxistes
- – « le cinéma, notre métier » par Louis Daquin, cinéaste
- – « Voyage à travers le monde, par Jean-Louis Barrault
- – « le TNP » par Jean Vilar, directeur et acteur
La saison suivante, 1962-1963, le comité d’entreprise Hispano-Suiza prend l’initiative d’un jeu littéraire. Son ambition est « d’intéresser encore plus les travailleurs à la connaissance de la littérature, donc d’amener un plus grand nombre de camarades dans les bibliothèques. L’idée de départ était de faire un « Goncourt des travailleurs » mais il s’avéra que tout prix décerné par les travailleurs serait illusoire du simple fait que la vie qui est faite au travailleur l’empêche de lire la production de l’année, et que ce « prix » ne serait ainsi que le résultat d’une loterie ». L’idée d’un jeu-concours est donc finalement retenue. Un jury de personnalités retient huit romans. Le jeu consistait à exprimer son sentiment sur l’un des huit titres proposés et à dire le plus clairement possible ce que l’on pensait, et les réflexions que ce livre ont suggérées. Afin de « donner les clés » qui manquent aux ouvriers, les CE multiplient les conférences avec la participation des chercheurs, professeurs, écrivains, les plus en vue. Joliot-Curie viendra parler de l’atome devant de vastes auditoires. Les conférences « connaissance du monde » connaissent un succès grandissant. Les CE constituent un réseau de diffusion des idées et des connaissances de plus en plus structuré. Incontestablement cette décennie aura permis aux CE de se dégager du paternalisme et de marquer durablement leur territoire en jouant pleinement le rôle d’un véritable mouvement d’éducation populaire.
3) Le développement
Le début des années 60 inaugure une nouvelle phase dans l’histoire des CE. Après le temps de la « reconstruction », puis celui d’une « construction » autonome et singulière, qui vit le passage des « œuvres sociales » aux activités sociales et culturelles, les CE vont assoir, développer et diversifier leurs formes d’interventions. Dans le domaine des vacances, l’obtention de la 3ème semaine de congés payés en 1956 (20 ans après le Front populaire) voit une extension de la demande de vacances que les CE accompagneront en élargissant leur offre touristique. Des régions, jusqu’à la boudées par le tourisme sont valorisées par l’implantation de centres de vacances qui participent à leur développement économique. Avant que l’on ne parle de développement durable et d’écologie les CE, dans leur quasi-totalité, font appel à des entreprises, des artisans et des commerçants locaux.
Un plus grand nombre de vacanciers et un plus grand nombre de jours de vacances rendent potentiellement rentable ce secteur qui devient un marché. En 1959 le tourisme social est mis en concurrence avec le secteur privé. La création de Village Vacances Familles (VVF) en 1958, par la Caisse des dépôts et Consignations et la C.A.F., inaugure ce nouvel acte. Néanmoins les comités d’entreprise ne renoncent pas, bien au contraire, car si le droit aux vacances est reconnu dans les textes, il l’est trop peu dans les faits. C’est bien grâce à leur CE que des milliers de salariés sont partis et partent en vacances. L’application du quotient familial dans la quasi-totalité des CE rend possible l’accès aux vacances pour les familles nombreuses. Dans le même temps l’accroissement de la demande générée par davantage de congés payés, conduit les CE à regrouper leurs forces en mutualisant leurs moyens. Les années soixante sont marquées par le développement des activités et des réalisations inter-entreprises. Tourisme et Travail, pour les vacances, et Travail et Culture pour les activités culturelles deviennent les partenaires et prestataires privilégiés des CE.
La hausse de la consommation conjuguée avec de profondes mutations technologiques, permettent la démocratisation d’un grand nombre de produits ménagers et électro-ménager, entraînent un besoin de productivité accrue. Au début des années soixante de nouvelles formes d’écoute de la musique prennent le dessus sur des formes datant des années trente. « Jusqu’à-là, cette écoute était fixe, immobilisée autour de deux meubles encombrants et fragiles : le poste de TSF et l’électrophone. L’écoute devient mobile grâce au poste à transistor, à la cassette et, plus encore, au walkman. Auparavant, le choix des chansons était imposé par les programmateurs radio, il devient désormais plus libre. » [73]Cette augmentation du temps d’écoute, notamment des jeunes générations plus mobiles, va influencer la production musicale qui connait un essor sans précédent. Les revues et les magazines prolifèrent, formatant une demande, et attirant un vaste public. Le disque 45 tours supplante bien vite l’ancien 78 tours, les points de ventes se multiplient et gagnent les supermarchés afin de toucher le jeune public qui inaugure là son entrée dans l’ère de la consommation. Longtemps les supermarchés seront les seuls espaces ou se procurer des disques. Les librairies, soumises à de drastiques contraintes financières mettront un certain temps à proposer des disques. Pour d’autres raisons, les bibliothèques municipales, elles aussi prendront du retard. Les bibliothèques des comités d’entreprise seront plus réactives, sans doute grâce à l’irruption des jeunes travailleurs qui arrivent ces années-là sur le marché du travail. Dans une étude réalisée en 1966, Bernard Miège et Michèle Legendre, constatent que 34% des comités d’entreprise disposent d’une discothèque.[74] La même étude fait état d’un renouvellement important puisque entre 1965 et 1966 les discothèques de CE ont plus que doublées leurs fonds de disques.
Le salariat se féminise davantage, de nouvelles catégories sociales, comme les Ouvriers Spécialisés (OS) apparaissent modifiant le paysage socio-économique. Autant d’évolutions qui impactent le monde de l’entreprise et donc celui des CE qui doivent répondre à de nouvelles aspirations. La présence de nombreux travailleurs immigrés, dans certaines grosses entreprises de la métallurgie, conduit les CE à diversifier, par exemple, leurs fonds d’ouvrages au sein des bibliothèques. La poésie occupe une place plus grande, les débats et les conférences élargissent leurs frontières. Cette place nouvelle que prennent les « nouvelles cultures » conduit les CE à s’intéresser davantage au potentiel créatif que portent en eux les salariés. Après avoir « réduit la distance » géographique entre les ouvriers et les œuvres en faisant de l’entreprise un espace de médiation, et après leur avoir « donné les clés » pédagogiques pour se rapprocher de celles-ci, les comités d’entreprise vont rechercher à susciter et « développer la créativité » propre des salariés. Après avoir revendiqué la culture pour tous, les CE revendiquent la culture par tous ! Les arts-plastiques, peinture et sculpture dans un premier temps, seront la première des formes d’expressions auquel vont s’intéresser les salariés. Ces « pratiques amateurs » qui se développent au début des années 60 vont connaître un essor rapide. Le comité d’entreprise met, le plus souvent, un local à la disposition des salariés qui souhaitent s’adonner à cette pratique. Sous la conduite d’un professeur ils s’initient aux rudiments du dessin, de la peinture et de la sculpture. Au fil des ans, les progrès accomplis encouragent les artistes à présenter leurs productions à leurs collègues de travail. Les expositions « de peintres amateurs » se multiplient dans les locaux du CE. Des confrontations sont organisées entre entreprises, les salons inter-ce se généralisent d’abord au sein d’établissement d’un même groupe, puis au niveau local et départemental. En 1965, une exposition nationale : « Les travailleurs et les arts » est organisée à Paris, elle sera ensuite délocalisée à Lyon. Relatant l’exposition des peintres amateurs du CE Chausson, Dominique cinq, qui fut longtemps rédacteur en chef de la Revue des CE, fut le premier à porter un jugement esthétique sur cette production : « Au cours des premières années, on comptait dans les expositions un nombre impressionnant de toiles dont on pourrait contester la valeur esthétique. Aujourd’hui certes, quelques « cartes postales » sont accrochées, mais le niveau qualitatif de recherche, de travail, de réflexion et de création a considérablement progressé. Certains reprochent aux œuvres artistiques des travailleurs leur style naturaliste. Or ce qui semble, pour les critiques, dépassé, usé, voire sans intérêt dans notre acquis culturel, est encore pour le monde ouvrier matériellement inaccessible. De plus, pour celui-ci, dans la réalité du régime capitaliste, se mettre en condition favorable pour une création artistique demande un effort moral extraordinaire. Il est donc normal que les amateurs fassent cette expérience naturaliste. Par contre, il est nécessaire pour leur propre enrichissement culturel qu’ils dépassent ce stade et trouvent une voie originale et créatrice à leur talent ».[75] Ces propos clairvoyants et encourageants, ne sont pas toujours relayés par les élus et militants qui sont souvent plus directifs. Ainsi en 1966, à la Carbone-Lorraine où le CE fournit le matériel et organise à la bibliothèque une exposition, les élus s’interrogent : « en dehors de leurs travaux habituels, il serait peut être possible d’orienter le groupe de peintres et de sculpteurs vers la décoration des locaux du CE ou de stands d’exposition, vers l’illustration des journaux d’entreprise, dans la composition d’affiches. En plus du bénéfice qu’y trouverait l’organisation syndicale, cela permettrait d’élargir ces cercles à de jeunes travailleurs de l’entreprise qui verraient là le moyen de développer leurs talents dans un esprit de militants. Dans le même ordre d’idée, il serait peut-être possible de fixer un thème à l’exposition annuelle. Par exemple « la vie et les luttes des métallos de l’entreprise X » où la vie et les peintres et les sculpteurs reproduiraient l’effort et les gestes familiers des travailleurs ».[76] Certains CE disposent d’espaces « prêtés » par la direction, comme le CE de la RATP qui expose les œuvres des travailleurs dans la station « délaissée, Cluny spécialement et très bien aménagée à cet effet. Plus de cent exposants, 225 œuvres, montrent la vitalité du groupe Métro-Beaux-arts ». Certaines des toiles : « pourraient avoir leur place dans une galerie ».écrit sur le livre d’or un visiteur qui suggère aussi que « les artistes du métro auraient également intérêt à comparer leurs œuvres avec celles de tous les groupements similaires qui existent dans les entreprises, Renault, Sadir-Carpentier, SNACO… leur participation par exemple au concours organisé par l’association Travail et Culture permettrait ces échanges et cette émulation ».[77]
L’exposition, par les artistes « amateurs », de leurs œuvres au sein de l’entreprise va encourager leurs collègues à présenter, à leur tour, leur propre « violon d’Ingres ». C’est ainsi, qu’à la suite des ateliers d’arts-plastiques vont naître des ateliers ou des sections, photos, théâtre, chorale, danse. L’effervescence de la créativité populaire conduit bon nombre de CE à organiser des « salons des violons d’Ingres », qui permettront de mélanger les genres et les disciplines et de découvrir, avec surprise parfois, d’autres formes de passions : « Dans la classe travailleuse le jeu des échecs est beaucoup plus pratiqué que certains ne le pensent. Et il le serait davantage si les animateurs de ce jeu, qui très souvent s’ignorent entre eux, avaient la possibilité d’entrer en contact, de se connaître. Il existe bien des cercles locaux, des cercles de quartiers. Alors pourquoi pas des cercles d’entreprises ? ». Le message sera entendu les clubs d’échecs vont se multiplier et des tournois inter-entreprises seront organisés pour le plus grand plaisir « des pousseurs de bois » comme les appellent affectueusement les élus de la Snecma et de Dassault. Assez vite, les salariés qui fréquentent ces sections et ateliers ressentiront la nécessité de se confronter à des « professionnels », artistes, critiques, professeurs, afin d’élargir leur palette. Ceux-ci, au départ intrigués par ceux qu’ils nomment « les artistes du dimanche », autre terminologie, moins élégante pour souligner leur statut «d’artistes amateurs », ouvrent néanmoins les portes de leurs ateliers et de leurs expositions à ce public curieux. Les artistes les plus proches idéologiquement de la classe ouvrière seront les premiers à répondre à ces sollicitations : Edouard Pignon, Jean Amblard, Fougeron, Boris Taslisky, Jean Lurçat, Doisneau, Willy Ronis, Jean Effel. Fin 1966, le Comité d’établissement Merlin Gérin présente l’exposition « Art et couleur », 24 exposants sur la quarantaine de membres que compte la section « peintres amateurs » présentent leurs œuvres sur les cimaises du CE. Jean-Pierre Jouffroy « peintre parisien » qui participe à l’inauguration aura ces mots à propos du statut d’amateur: « amateur, cela veut dire qu’on est un ami de la peinture, qu’on l’aime. Et c’est là votre premier titre de gloire ».[78] L’écrivain Roger Vailland avait déjà utilisé cette formule à l’égard des coureurs cyclistes.
Cet intérêt plus grand porté à la créativité populaire n’interdit pas aux CE de poursuivre leur politique d’invitation aux artistes, même si les directions multiplièrent les entraves, à l’image de celle de Renault qui procéda en une nuit au déménagement complet de la bibliothèque du CE de Billancourt. Le lundi 24 septembre au matin le personnel de la bibliothèque trouve la bibliothèque vidée de tous ses livres. « Après des recherches, les livres étaient découverts empilés pêle-mêle, sans soin ni respect de leur classification dans un local désaffecté et poussiéreux à proximité d’une cantine. Le soir même avec l’aide des lecteurs, les livres étaient réintégrés dans la bibliothèque et une garde permanente assurée pour éviter le renouvellement d’un semblable forfait. Des listes de pétitions condamnant les procédés employés par la direction et exigeant le maintien de la bibliothèque à son emplacement se couvrirent de milliers de signatures ».[79] La même direction refusa, en 1963, à Jacques Brel de venir chanter gracieusement dans l’usine, devant son refus ce fut la salle de cinéma voisine, «l’Artistic Palace », qui accueillit le chanteur pour un concert mémorable. Quelques années plus tard l’auteur et metteur en scène Armand Gatti connu lui aussi quelques mésaventures : « Le directeur de la Maison de la Culture du Havre m’a demandé de venir écrire une pièce et de la jouer. J’ai choisi de travailler avec des comités d’établissements. Il y avait au Havre une commission composée des délégués culturels de tous les CE de la ville. Il y avait donc toute l’histoire de la classe ouvrière du Havre. C’était fin 69, début 70. J’ai vu tous ces comités d’établissement, rencontré tous les délégués et puis, fait des rencontres individuelles, par petits groupes, dans l’entreprise et vous savez que pour pouvoir pénétrer dans certaines entreprises, il faut user de ruse : cela ne va pas de soi de pénétrer chez Renault, par exemple. Il faut même que le CE utilise beaucoup de ruses »[80]. Les ruses déjouèrent bien souvent l’attention des gardiens pourtant zélés, mais avec le temps des complicités se nouèrent et les gardiens, à l’insu de leur plein grès, assistaient avec plaisirs aux représentations et spectacles d’artistes « non invités ». Les directions pas dupes firent alors de plus en plus souvent appel à des entreprises prestataires ou à des sous-traitants. Le manque de locaux adaptés au sein de l’entreprise conduisit plusieurs CE à occuper des espaces extérieurs. Le CE du Crédit Lyonnais de Paris loua, à partir de 1963 tous les 15 jours, une salle de cinéma dans son quartier. Les séances avaient lieu à la sortie du travail de 18h30 à 20h30 et connaissaient un vif succès puisque 400 salariés sur les 6500 que comptait le site, assistaient aux projections. Dans un autre registre, le CE des ARCT de Roanne créa, en 1965, « le premier Bowling d’entreprise d’Europe occidentale ». Le local qui l’abrite a été baptisé « L’idée », il s’agit d’une salle de loisirs et de culture ouverte de 15h à 22h ». Cette même année, le CE Hispano, qui fête ses 20 ans, possède 8 500 volumes pour 1 188 lecteurs. La bibliothèque prête chaque mois entre 900 et 1 200 livres. De telles réussites n’auraient pas été possible sans un personnel dévoué et compétent. Rompant avec une tradition fortement ancrée au sein du mouvement ouvrier, celle du bénévolat et du militantisme, les comités d’entreprise se professionnalisent petit à petit et recrutent des animateurs, des bibliothécaires et des directeurs d’activités culturelles. Signalons, parmi la multitude d’activités culturelles organisées par les comités d’entreprise, les expositions itinérantes réalisées le plus souvent en collaboration, à partir de l’actualité. Le centenaire de la naissance de Romain Rolland en 1966 sera ainsi l’objet d’une telle initiative. Un hommage à Jean Lurçat, composé de cinq tapisseries originales, de lithographies, de cartons, de dessins et de photos circulera la même année dans beaucoup de comités, commençant son périple chez Dassault et Hispano. Dynamisés par ces activités qui rencontrent un vif succès, les comités d’entreprise consacreront la plus grande part des crédits culturels à leurs bibliothèques. Celles-ci sont de plus en plus spacieuses et possèdent un fonds d’une grande richesse. En 1967, la bibliothèque de l’association culturelle du CE de l’usine Peugeot à Montbéliard a prêté 86 810 livres et 50 151 disques. Chaque lecteur emprunte en moyenne 57 livres dans l’année : les responsables de la bibliothèque sont observateurs : « Le Michelet ne sort jamais du rayon mais Prévert, Sade, Stendhal, Néruda et Eluard sont constamment demandés. Les gros Marx sommeillent mais les petits marchent bien. 6 650 disques « classiques » sont sortis en 1967, avec au hit-parade Bach, Beethoven, Haendel et chopin ».[81] L’association, qui compte à cette date 5 000 adhérents a organisé une conférence sur les nationalisations et une autre sur le livre avec Max-Pol Fouchet. Notons cependant que les locaux du comité d’entreprise, comme ceux de l’association culturelle sont situés à l’extérieur de l’entreprise. Il faudra de multiples actions, des milliers de pétitions, pour que le bibliobus pénètre enfin dans l’entreprise en 1982. Le paysage syndical lui aussi s’élargit avec la naissance en novembre 1964 de la CFDT, issue d’une scission au sein de la CFTC. A cette date, le syndicalisme connait enfin la configuration que nous lui connaîtrons longtemps, avec la présence de la CGT, née en 1895, de la CFTC en 1919, de Force Ouvrière, née d’une scission au sein de la CGT en 1948, de la CGC constitué en 1954 et de la CFDT, plus jeune des 5 confédérations. Le 20 mai 1965 un accord est signé entre patronat et syndicat qui généralise la 4ème semaine de congés. En moins de 10 ans, 1956 et 1965, les congés payés sont passés de 2 à 4 semaines, multipliant par deux le temps libre des salariés. Cette augmentation du temps libéré des contraintes du travail se conjugue avec l’apparition de nouvelles pratiques sociales et des évolutions technologiques auxquelles les CE, une nouvelle fois, répondront rapidement : Danse, expression corporelle, théâtre, chorale, photos-club, arts-plastiques, échecs. La généralisation du format- super-8 va démocratiser la pratique du cinéma amateur, moins chères et plus légères les caméras se multiplieront dans les couches populaires donnant le jour à des « sections caméra-club », permettant l’initiation à la prise de vue mais aussi au montage. Aux fêtes de familles et aux vacances, vont succéder des films plus ambitieux, des documentaires ou un peu plus tard des fictions. Des festivals inter-CE permettront la présentation de ces films à un public plus large souvent séduit par cette production « parallèle ». Les CE proposant une activité « ciné-club », à l’image de ceux du Crédit Lyonnais, de la Caisse d’Epargne ou de Renault Billancourt, projetteront en première partie de leurs films « arts et essais », ces productions amateurs. La plupart des réalisateurs télé étant en grève en 1968 les manifestations de mai 68 seront filmées, pour l’essentiel, par ces cinéastes amateurs, c’est grâce à leurs films que nous disposons des images et du son de ces « événements ». Témoignages d’autant plus précieux et réalistes que ces cinéastes, souvent syndiqués et militants, étaient présents au cœur même de l’action, ce qui n’aurait pas été possible pour des professionnels, non pas par manque de qualité, mais à cause de l’efficacité des services d’ordre. Les « caméra-club » des CE témoignent d’une grande réactivité de ceux-ci à investir des problématiques et des évolutions nouvelles. Il n’existe, au demeurant, hormis les CE, que peu de structures ou d’institutions ayant répondus présent à cette belle aventure, que certes de nouvelles évolutions technologiques vinrent dépassées, mais qui ont constitué un vivier d’images inédites et de pratiques collectives et solidaires. Les toutes jeunes sections « caméra-club » auront tout juste le temps de s’aguerrir que les luttes se développent début 1967, aux chantiers navals de Saint-Nazaire, chez Berliet, à la Rhodiaceta à Besançon, chez Dassault. Le nombre de jours de grève atteint pour l’année 1967, quatre millions, un record sous la Ve République. C’est dans ce contexte que l’année 1968 s’annonce agitée. Agitée, elle le sera.
4) L’élargissement
La notion d’élargissement prend ici un double niveau, celui de « l’extension du domaine des luttes » et celui de l’élargissement de la palette des activités sociales, culturelles et économiques proposées par les comités d’entreprise. La seconde notion étant au demeurant l’une des conséquences les plus directes et concrètes de la première. Si l’année 1968 reste le marqueur de la contestation connue sous la gentille appellation « d’évènements », elle fut précédée, sur le plan social et syndical d’une année 1967 particulièrement chargée en conflits et en luttes. C’est à la Rhodiacetà à Besançon que démarrèrent les hostilités. Invité par le CE et les syndicats, CGT et CFDT, Chris Marker vient filmer la grève et l’occupation de l’usine. Son film « A bientôt j’espère » sera très critiqué par les ouvriers qui le trouvaient « trop romantique ». Pol Cébe responsable du CCPPO (Centre Culturel Populaire de Palente les Orchamps) et ses camarades, avec le soutien de Marker, décident de prendre leur image en mains, à l’incitation d’un Jean-Luc Godard qui déclare : « les ouvriers filment leurs vacances, qu’ils filment leur travail ». Du CCPPO naîtra le groupe Medvedkine (du nom du cinéaste soviétique des années 20 qui avait équipé un train cinéma dans lequel il projetait ses films d’agit-prop). Le premier film du groupe sera réalisé par les ouvriers de l’usine, en réponse au film de Marker, « Classe de lutte ». Ce moyen métrage relate l’histoire d’une jeune femme qui, en 1967, refusait de militer et qui peu à peu, apprend à s’exprimer et finit par prendre la tête des luttes dans l’entreprise d’horlogerie Yéma[82].Un deuxième groupe Medvedkine est créé, deux amis de Chris Marker, Bruno Muel et Théo Robichet « entraînent » de jeunes OS de Sochaux au maniement des caméras. A leur actif « Sochaux 11 juin 68 » (reportage sur ce jour où deux ouvriers ont été tués par la police), puis « Week-end à Sochaux » qui mêle reportage et fiction, métallos et comédiens professionnels.
Le début de l’année 68 s’inscrit dans la continuité de la précédente, les luttes sociales s’intensifient, les grèves se multiplient, certaines avec occupation. Les étudiants à partir du 22 mars entrent, eux aussi, avec d’autres revendications, dans le mouvement. Le 14 mai la grève se généralise et les premières usines sont occupées : Sud-Aviation Nantes, Dassault, Breguet Aviation, Sud Aviation A Renault-Billancourt l’occupation durera 33 jours et 34 nuits. 32 ans après le front populaire il faut à nouveau « s’occuper en occupant », mais l’expérience est là : 150 séances de cinéma (33films différents), 7 spectacles de variété sur la place nationale, 5 spectacles de théâtre dans l’Ile Seguin, 16 rencontres poétiques, 2 rencontres avec les peintres Mireille Miailhe et Jean Picard le Doux, une rencontre avec les écrivains Jean Marcenac, Philippe Sollers et André Stil, une rencontre avec les réalisateurs, journalistes et acteurs de l’ORTF, 15 dépôts de la bibliothèque représentant 879 livres, 17 dépôts de la discothèque représentant 1008 disques. Isabelle Aubret, Raymond Bussières, Pia Colombo, Pierre Dac, Jacques Douai, Lenny Escudéro, Jean Ferrat, Jacques Higelin, Hélène Martin, Paul Préboist, et beaucoup d’autres viennent rencontrer les ouvriers en grève. Les théâtres d’Arcueil, d’Aubervilliers, de Gennevilliers, de Villejuif et du soleil se rendent également à Billancourt pour présenter leurs spectacles. Le théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis offre un spectacle de mimes aux grévistes de Citroën. Colette Magny chante devant les travailleurs de l’Alsthom Saint-Ouen. Jean Wiener donne un récital de piano à l’usine Hispano-Suiza de Bois-Colombes. Fin mai, syndicats, patronat et gouvernement, se retrouvent au Ministère du travail, rue Grenelle à Paris. Aucun accord ne sera signé, mais un constat sera présenté aux grévistes, il stipule, entre autres, des augmentations importantes de salaires, plus 35% pour le smic, la reconnaissance des syndicats à l’entreprise. La CGT et la CFDT, considèrent qu’il s’agit d’acquits importants, mais que le compte n’y est pas. La reprise en main par De Gaulle et la droite qui agitent le spectre du chaos marquera, pour un temps la fin des hostilités. Le 17 juin Renault vote la reprise du travail. « La Reprise » sera aussi le titre d’un film d’Hervé Le Roux concernant précisément la fin de la grève à l’usine Wonder de Saint-Ouen.
Mais bien des choses ont changées en profondeur, notamment le refus de la société de consommation et de l’individualisme, l’acceptation de l’évolution des mœurs, 1968 c’est aussi l’introduction de la mixité dans les « camps ados ». Le monde du travail, dans sa nouvelle réalité, avec ses nouvelles catégories socio-professionnelles, avec son syndicalisme, c’est fait reconnaître au grand jour. De jeunes chercheurs en sciences sociales s’intéressent davantage au travail, à son contenu à ses conditions d’exercice, à son brassage culturel. Un certain nombre d’intellectuel choisiront de vivre, de l’intérieur, cette expérience afin de mieux la comprendre. Robert Linhart a raconté dans son livre « l’Etabli » son expérience d’ouvrier chez Citroën.[83]
C’est en plein cœur d’un conflit d’une année à la SEMM Sotrimec, qui fabrique des caravanes à Trignac près de Saint-Nazaire, que René Vautier réalise en 1975 « Quand tu disais, Valéry » à l’initiative de la CGT, de la CFDT, du Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire, et de l’Unité de Production Cinéma Bretagne. Le film inclut des images tournées en super 8 par les ouvriers de la SEMM. Ce long métrage découpé en cinq épisodes dénonce le détournement des « aides à l’emploi ». Deux séquences seront saisies par la justice. Premier prix au Festival de Rotterdam en 1976, ce film sera diffusé dans de nombreuses villes et comités d’entreprise. Il fut produit grâce aux 15 000 cotisations à 10 francs achetées par les ouvriers de Saint-Nazaire. L’œuvre fut sélectionnée au Festival de Cannes, « les 15 000 souscripteurs » durent désigner l’un des leurs pour accompagner, en tant que producteur, le réalisateur à Cannes. René Vautier évoque encore avec beaucoup de malice cet épisode : « Il était traceur sur métaux à Saint-Nazaire », il s’est retrouvé, au cours du repas des producteurs, entre le patron de Métro Goldwin Mayer et le patron de la Gaumont qui lui a demandé : « Alors, ça marche votre cinéma ? » et il lui a répondu : »Vous en faîtes pas, ça marche aujourd’hui mais on en reparlera encore demain ». Le succès médiatique de ce film incite d’autre jeunes cinéastes à se lancer dans l’aventure, c’est ainsi que Jean Pierre Thorn filme en 1979/1980, les quarante-trois jours de la grève de l’usine Alsthom de Saint Ouen ; son film « Le dos au mur » connaîtra, lui aussi, une diffusion commerciale.
Le Centre de Culture Populaire (CCP) de Saint-Nazaire, association inter-CE de la région de Saint-Nazaire invite, en 1975, la comédienne Catherine de Seynes et le musicien Gilles Petit en résidence. Dans un livre au titre éloquent « On n’a pas le temps », Catherine de Seynes relate cette expérience qui donna naissance à un grand nombre de réalisations dans le cadre d’ateliers de création. [84] Elle y relate aussi quelques difficultés avec les syndicats, certes bienveillants, mais souvent dépassés par « le manque de temps ».Hervé Colimard, qui fut longtemps élus CGT à Renault-Rueil mettra lui l’accent sur une autre forme de difficulté qu’il a pu observer au CE Hurel Dubois et qui témoignent de changements au sein de la gestion des entreprises: » l’animation du midi était une activité importante de la commission culturelle. Il s’agissait alors de proposer aux salariés des projections de films, des rencontres-débats, des concerts divers Puis l’instauration de l’horaire variable et du self-service, ont anéantis cette pratique. Il n’y a plus du tout d’animation le midi ».[85] Robert Guillermet, animateur culturel au CE de BP à Fos sur mer, dans les années soixante-dix, ne cache pas lui non plus, certaines difficultés : « Putain, pour prêter un livre, faut pas sortir de Polytechnique« . « Le CE s’est cru, par mon embauche, définitivement débarrassé du problème de la culture et éventuellement, renforcé d’une main-d’œuvre d’appoint. Prêter des livres trois heures par jour n’est pas ce qu’on appelle un travail, même si on est appelé à aller en acheter de temps en temps, même si on doit en changer quelques-uns de place parce que leur classement n’est pas conforme. Quant à l’animation culturelle, comment expliquer ça, moi qui ai mis quatre ans pour le comprendre ? C’était compris dans mon travail de bibliothécaire. J’étais un bibliothécaire qui animait un lieu au lieu d’être un bibliothécaire qui n’animait pas. »[86]
Si les directions multiplièrent les entraves au bon fonctionnement des CE, les difficultés vinrent aussi parfois du champ syndical pour qui les activités sociales et culturelles n’étaient pas toujours une priorité.
L’exemple de Neyrpic traduit en définitive la difficulté à assumer l’alliance de la classe ouvrière et des intellectuels, même quand il y a volonté d’alliance.
Christiane Herbillon intellectuelle, études de sociologie, femme, jeune, est embauchée comme animatrice culturelle dans une entreprise de constructions mécaniques avec main-d’œuvre formée pour l’essentiel d’ouvriers qualifiés, hommes, avec une moyenne d’âge de 42 ans. Dans une entreprise ou le travail est hautement qualifié, il y a une fixité de main d’œuvre dont découlent les traditions, avec une forte tendance au corporatisme, voire, dans une entreprise moyenne absorbée depuis peu par l’Alsthom, puis par la CGE, l’embauche d’une animatrice, il y a cinq ans, relevait presque du volontarisme. « Il s’agissait de mettre en œuvre une politique culturelle, de l’inventer, sans que cette politique soit réellement l’affaire du syndicat et de ses élus au comité d’établissement. Tout se passe sous la forme d’une confiance abusive à une intellectuelle à qui l’on confie le rôle de médiateur. A partir de là, il reste à se débrouiller. Se débrouiller dans une contradiction avec d’un côté la confiance et de l’autre l’absence totale de définition des attributions et même une difficulté à prendre en compte la qualification du travail intellectuel lui-même.
Le problème est que le terrain n’est pas vierge. Il y a une histoire Neyrpic, constamment présente. On court à l’échec total si l’on s’extrait de cette histoire. Tendance à regretter le temps du petit patron, présent dans l’entreprise. En plus, l’absence d’un personnel culturel au CE, l’absence d’un travail d’animation ne signifie pas que le mouvement culturel soit resté à la porte de l’usine. Ici comme partout, la création des comités d’entreprise a entraîné la création d’activités culturelles comme la bibliothèque, le théâtre amateur et dans les années 50, période du « boum » de la photo populaire, le club photo. A l’image des CE eux-mêmes, ces activités sont contradictoires ; ce sont des acquis ouvriers constamment menacés d’une récupération dans le sens de la collaboration de classe. L’absence d’ouverture sur l’extérieur, sur la création renforçait le danger. Le syndicat a toujours autre chose à faire que de parler culture. [87]
Alors que le paysage syndical se diversifie et que des alliances intersyndicales modifient la cartographie des comités d’entreprise, de grands conflits sociaux tels ceux de Lip et de Manufrance mettent les questions économiques au cœur du débat ; la gestion même des entreprises est contestée. Des expériences d’autogestion ouvrière sous formes de coopératives sont tentées. Ainsi les travailleurs des ARCT à Roanne soutenus par leur comité d’entreprise commercialisent le fil Novacore, en créant leur coopérative « La vie en pull ». C’est aussi le CE qui joue un rôle majeur dans la lutte des travailleurs des Etablissements Defrenne à Roubaix pour sauver leur emploi .Si les CE n’ont qu’un rôle consultatif en matière économique ils sont de plus en plus souvent à l’initiative de propositions alternatives Aux chantiers navals de la Ciotat, les soudeurs ont été victimes, à la suite de l’apparition d’une nouvelle peinture à base de zinc, de troubles profonds et graves. Les délégués de la commission Hygiène et Sécurité du Comité d’Entreprise se sont efforcés de construire avec les soudeurs une solution à ce problème. En janvier 1981, un article de presse sur le cancer du soudeur est diffusé dans tous les ateliers. Cette phase de sensibilisation sera suivie de la création par une équipe de soudeurs d’une cheminée « prototype » de 25 mètres de haut sur 25 cm de section, permettant le rejet des fumées toxiques. Ce prototype constituait une réelle prouesse technique, la direction ayant toujours contesté la faisabilité d’un tel projet. C’est donc en inventant et en créant eux-mêmes ce prototype que les soudeurs de la Ciotat ont tout à la fois amélioré leurs conditions de travail et enrichi la protection et la prévention médicales d’une contribution originale et décisive. Cette expérience qui met en œuvre une idée large de la « communauté scientifique » élargie fera école autour du bassin de Fos-sur-mer, où plusieurs comités d’entreprises, dont celui d’Ugine-Acier, avec la collaboration d’un Centre de santé mutualiste élaboreront la « Carte brute des risques ». Pour la première fois, médecins, salariés et syndicalistes se sont associé pour évaluer les effets « cumulés » des différentes nuisances auxquelles sont soumis les salariés. Service par service, atelier par atelier, toutes les agressions et nuisances sont inventoriées. Des entretiens personnalisés permettent d’en mesurer sur chacun les répercussions globalisées. Cette carte brute des risques a constitué une avancée significative dans le domaine de la recherche médicale.
La vulgarisation de la culture technique et scientifique est devenue au fil de leurs avançées, une préoccupation des CE. Avec la coopération de Travail et Culture des expositions itinérantes ont été réalisées : « Les Canuts », « Robotique, télématique, informatique ». « Les Jeux olympiques ont une histoire » Le Comité central d’Entreprise de la SNCF et la CCAS ont mis leurs forces et leur moyens en commun pour produire une exposition sur l’œuvre d’Albert Jacquard. Cette exposition, présentée dans les comités d’entreprise de la SNCF et dans les centres de vacances de la CCAS, avait pour ambition de faire connaître les idées du généticien et de faire lire ses livres. Lequel généticien était particulièrement friand de ces rencontres, évoquant ces nombreux débats dans les comités d’entreprise, Albert Jacquard se disait frappé : « par la soif énorme de savoir et le besoin de mieux questionner, par ces rencontres ou l’auditoire ne laissait aucune imprécision, aucun court-circuit logique, je me suis trouvé obligé d’aller au bout de ma propre réflexion, de débusquer les tours de passe-passe intellectuels résolvant les problèmes par des pirouettes. » Et Albert Jacquard de conclure par cette belle leçon : « Rien n’est plus exigeant qu’un public populaire dès qu’il a compris qu’il peut comprendre. » :[88] L’exigence partagée est aussi de mise lors des tournées vacances qui offrent aux artistes la possibilité de rencontrer, grâce à cet important réseau qu’offrent les centres de vacances, un public nombreux et attentionné. Ainsi la CCAS (Caisse Centrale d’Activités sociales du Personnel des industries Electriques et Gazière) fait « tourner » durant l’été, sur ses centres de vacances plus de 40 artistes ou groupes, pour près de 800 représentations, soit l’équivalent du public du Théâtre National de Chaillot pour toute une saison. Le musicien Marc Perrone indique à ce propos, que les tournées des centres de vacances constituent, pour les artistes de véritables « laboratoires artistiques ».Bien des artistes ont fait leur début dans ce plus grand des « festivals d’été ».
5) La reconnaissance, le Métissage.
La victoire de la gauche en 1981 marque la première reconnaissance par les autorités publiques, de l’action des CE. L’un des premiers actes significatif de cette nouvelle ère sera le rapport commandé par le ministre de la culture Jack Lang à Pierre Belleville sur l’état des lieux de la culture à l’entreprise. Le « rapport Belleville » est la première pierre d’une reconnaissance par l’Etat de la culture au sein du monde du travail. Cette reconnaissance se traduira, pour partie, par un engagement financier de l’état sur quelques projets culturels initiés par des CE dans le cadre de « conventions de développement culturels ».[89] Cet engagement financier de l’état, au côté des comités d’entreprise est une première, malheureusement celui-ci ne durera que quelques années, 3 ou 4 ans. Néanmoins une cinquante de « conventions culturelles » seront signées, permettant la réalisation de projets particulièrement innovants qui n’auraient pu voir le jour sans cette aide du Ministère de la culture. Un colloque organisé par le ministère en 1985 au Havre tirera une première analyse de cette expérience.[90] En 1982, les lois « Auroux » donneront aux comités d’entreprise de nouveaux droits et de nouvelles libertés, témoignant également de cette reconnaissance de leur rôle et de leur action au service des salariés. C’est en septembre 1981 que le bibliobus du CE Peugeot pénètre enfin dans l’enceinte de l’entreprise, Jean Cadet ancien secrétaire du comité d’entreprise raconte : « Notre bibliothèque de prêt était accessible même aux personnes étrangères à Peugeot. Elle était riche de près de 40 000 volumes de tout genre ( y compris en langue arabe, espagnole, yougoslaves, turc, pour les travailleurs immigrés nombreux à Sochaux). Comme plus de 10 000 salariés étaient transportés en cars de leur domicile à l’usine, l’accès de la bibliothèque leur était de fait interdit. C’est pourquoi nous avions demandé à la direction de Sochaux l’accès du bibliobus sur les autogares situées à l’intérieur de l’entreprise, ce qu’elle avait refusé dans un premier temps. Nous avons alors mené une campagne publique contre ce refus et nous avons finalement gagné en septembre 1981. »C’est en 1982 que le bibliobus du CE de Renault Flin franchira lui aussi pour la première fois l’enceinte de l’entreprise. Cette même année la direction de Renault Douai « autorise le passage d’un bibliobus dans les secteurs de production pour que les ouvrières et les ouvriers aient accès aux très nombreux livres et ouvrages du comité d’établissement ».[91] En 1983, l’orchestre national de Lille se produit dans l’usine Renault de Douai. Jean-Claude Casadesus dirige « la neuvième symphonie de Beethoven », le concert est retransmis en direct à la télévision. Plus de mille spectateurs sont présents dans l’usine. Indéniablement, l’initiative est un succès. La part d’audience atteindra 33% de téléspectateurs. Jean-François Caré, secrétaire du CE, se souvient : « par ailleurs, le syndicat n’était pas resté l’arme au pied. Nous avons organisé des débrayages reconductibles et des retraits de situations dangereuses partout où le niveau sonore dépassait le seuil légal de 85 décibels. Nous revendiquions l’installation de cloisons phoniques et le capotage des machines trop bruyantes. Nous avions prévu de déployer des banderoles autour du mot d’ordre « pour écouter Beethoven il ne faut pas être sourd » à l’occasion de la retransmission en direct, si les négociations n’aboutissaient pas. Finalement quand les calicots furent déployés dans les ateliers et que le mot d’ordre était en train d’être peint par les salariés, la direction a consenti à l’investissement ! Autrement dit, l’organisation d’une manifestation culturelle à l’intérieur de l’usine a non seulement permis à des centaines d’ouvriers d’assister probablement pour la première fois à un concert de musique classique mais aussi à la plupart d’entre eux de travailler dans un environnement moins hostile ».[92] En 1983 le Comité d’entreprise des verreries de Saint-Just confie à la Fédération Nationale Travail et culture la réalisation d’un ensemble d’initiatives culturelles qui témoignent de la démarche la plus appropriée à la défense d’entreprise et des savoir-faire. Pour le CE « organiser notre lutte sur le mode culturel est la réponse la plus pertinente pour les travailleurs d’une entreprise dont les liens avec la création artistique sont aussi étroits. »[93] De cette rencontre l’écrivain Bernard Noël produira un magnifique texte : « La danse du verre, chronique plurielle des verriers de Saint-Just ».Il s’agit là de la première des « résidences d’artistes », d’autres suivront. Relevant le défi du « rapport Belleville » et de la volonté affichée par le ministère au travers des projets de conventions de développement culturel, les élus du comité d’établissement du centre industriel de la régie Renault-Billancourt adressent en février 1983 un « rapport à monsieur le ministre de la Culture ». Ce rapport met en évidence le bilan culturel des trente-cinq années de gestion du comité d’établissement. Forts de cette expérience, les élus demandent au ministre de la Culture une rencontre, afin de lui faire part des projets du CE dans ce domaine. Parmi les cinq projets proposés, deux feront l’objet d’une convention de développement culturel, qui bien que jamais signée du reste, seront toutefois réalisées. C’est dans un contexte de profondes mutations que s’inscrivent ces deux projets. En cette année 1983 le site de Billancourt, un temps menacé, est promis à un nouvel avenir avec le projet « Billancourt 2000 ». Un projet architectural, confié à Claude Vasconi, prévoit de faire de ce site historique la vitrine high-tech de l’entreprise. Attachement au passé glorieux et espoir en l’avenir se mêlent chez les salariés. C’est dans cette dualité entre mémoire à préserver et audace vers l’avenir que s’inscrivent les deux projets. Le premier concernait la réalisation d’une grande exposition, « l’homme et l’outil » mettant en évidence les relations du travailleur avec son outil. Cette exposition confrontait le double regard d’une ethnologue, Noëlle Gérôme, et d’un artiste plasticien, Jean Claude Anglade. Le second projet, est une création musicale, « Parole de voitures », pour bandes magnétiques et voix de Nicolas Frize. Le projet « Billancourt 2000 » ne verra jamais le jour, et le site tant convoité sera en définitive livré aux spéculateurs immobiliers.
L’euphorie de 1981 fera vite long feu, et le plan d’austérité décrété par le nouveau premier ministre Laurent Fabius, qui verra la démission des ministres communistes, inaugure une nouvelle phase moins enthousiasmante pour le monde industriel. Confrontés à de profondes mutations technologiques, prémices de fermetures ou de délocalisations, les CE engagent un travail de mémoire. Les Verreries de Saint-Just, Renault Billancourt, le journal Le Monde, Merlin Gérin, et beaucoup d’autres confrontés à des restructurations de grande ampleur feront ce choix.
Le journal « Le Monde » est lui aussi confronté à une profonde mutation technologique qui entraîne la délocalisation de l’imprimerie et celle, dans un autre lieu, de la rédaction. Cette séparation en deux entités n’est pas sans inquiéter le personnel, le CE se saisit de cette période d’entre-deux pour investir le champ de la création artistique. Gilles Boîtte, élu du CE Raconte la genèse d’une belle aventure : « C’est à la suite d’une rencontre avec Jean Kiras, artiste plasticien, qui travaillait sur des « Unes » de journaux que nous avons eu l’idée sans savoir exactement ce que nous allions faire, de le faire intervenir sur la Une du Monde Là, il y a eu obligation, pour réaliser l’œuvre, d’un contact approfondi entre le créateur, les typographes, les photograveurs et les imprimeurs. Cette relation-là, qui a beaucoup plu, nous a permis de nous rendre compte, un an plus tard, qu’elle avait révélé un problème que nous rencontrions dans notre identité, dans notre devenir d’ouvrier du livre : à savoir que les tâches de conception et d’ exécution, traditionnellement séparés, avec la création de postes de travail de médiateurs entre les concepteurs et les exécutants depuis le maquettiste, le secrétaire de rédaction ou le chef de fabrication, cette opposition entre conception et exécution était remise en cause par le progrès technique. Cela se concrétiserait par la dématérialisation de notre travail. Tout ce qui était tâche manuelle allait disparaître au profit d’une médiatisation par un écran et un clavier. Nous savions aussi que les mutations que nous allions vivre concerneraient non seulement les ouvriers mais les employés et également les journalistes. A partir de là, première idée : il faut au moins que l’on conserve l’image des lieux, des machines et du type de travail à fournir sur ces machines. D’où l’idée de faire travailler ensemble un photographe, Pierre Muratet du Bar Floréal et le club photo du CE qui fonctionnait bien mais qu’on voulait un peu bousculer. Nous avons cherché à faire appel à un écrivain pour réagir aux photos qui auraient été choisies à l’issue d’un reportage-mémoire. Nous avons fait la rencontre de Bernard Noël. Après une discussion relativement brève, nous avons senti que c’était pour lui une aspiration, une recherche et compte tenu d’une expérience passée qui a marqué le mouvement syndical et le mouvement des CE, je veux parler des verriers de Saint-Just, nous avons acquis la certitude que c’était avec lui qu’il fallait conduire ce projet ».[94] De sa « résidence », de son immersion dans les couloirs et dans les ateliers du journal, Bernard Noël écrira « Portrait du Monde » publié chez P.O.L. La direction du Monde exercera une censure sur ce livre. Bernard Noël parlerait de « sensure », c’est-à-dire de la privation du sens. Avec la complicité des imprimeurs, Jean Kiras, s’inspirant de l’actualité du jour, réalisa une « Une » inédite du journal. Cette œuvre, tirée à mille cinq cent exemplaires sur la une du Monde, fut distribuée à l’ensemble du personnel de l’entreprise.
Le projet « Energie(s) sur scène » est le fruit d’une rencontre. Celle d’une institution culturelle traditionnelle, le théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine que dirige Gérard Astor, et d’un autre espace de culture, la centrale électrique Arrighi de Vitry. A l’origine de cette rencontre, une même volonté : repenser les rapports entre public et spectacles, entre productions artistiques et réalités de la vie quotidienne, en allant plus loin dans la mise en pratique d’une conception globale de la culture. La volonté du directeur du théâtre de faire entrer les travailleurs d’une entreprise dans la gestion d’une aventure culturelle afin de modifier les pratiques, la production artistique et au bout l’offre culturelle, a rencontré celle des travailleurs de la centrale Arrighi, en lutte pour la défense et la reconstruction du site. Soucieux de ne pas limiter leurs relations avec le théâtre municipal à la seule gestion d’une billetterie, les élus CGT de la centrale étaient à la recherche d’une aventure culturelle plus audacieuse.
C’est à l’invitation du comité d’entreprise des cheminots de la région Provence-Alpes-Côte d’azur que Luc Joulé et Sébastien Jousse ont opéré un parcours cinématographique au cœur des métiers du train. Ils sont les premiers cinéastes parmi toutes sortes d’artistes conviés comme eux, à collecter la mémoire ouvrière dans le cadre de la politique culturelle du CE. Leur période de résidence artistique s’est déroulée entre 2006 et 2009. Le film « Cheminot » tiré de cette résidence est sortie en salle en novembre 2010.
Quand ça bouge dans le travail ça bouge dans la culture !
Comme l’évoque le sociologue Bruno Lefebvre : « Premièrement, il y a toujours un évènement dans la vie des entreprises qui déclenche la mise en œuvre d’une opération, qu’il s’agisse de théâtre, d’expositions, d’ateliers d’écriture, d’interventions de chercheurs. Ce peut être des suppressions d’emplois, des fusions d’entreprises, des plans sociaux qui agissent comme des électrochocs auprès des salariés et qui re-dynamisent, voire suscitent de nouveaux projets ; ce peut être aussi un moment de développement économiques, de nouvelles embauches en masse. Ces évènements « déclencheurs » sont toujours des moments de crise, où l’ordre social des relations au travail est bouleversé. Ces opérations, qu’elles soient recueils de mémoire ou des pratiques à caractère purement artistique, ont pour fonction d’accompagner un travail de deuil, de faire supporter aux salariés le fait de ne plus être dans une structure en voie de disparition ».
1985 voit la liquidation judiciaire de Tourisme et Travail, 1988 celle de Travail et Culture
La 6ème phase engagée avec le discours de Jack Lang à Mexico sur les « industries culturelles » est toujours d’actualité, la culture est devenue une marchandise, un « produit » rentable, beaucoup d’entreprise ferment, se délocalisent, les masses salariales se réduisent, les moyens dont disposent les CE sont en baisse, le pouvoir d’achat des salariés aussi, la pression sur les élus est forte pour que la subvention versée au CE soit « redistribuée » en prime ou en chèque de toutes sorte…
[1] Pierre Bouvier, Expression ouvrière, pouvoirs et contraintes des comités d’entreprise, Galilée, 1980, p.90
[2] Pierre Bouvier, ouv cité, p.92
[3] Présenté dans Construire, Rolande Trempé et Jean-Michel Leterrier, CCAS Editions 1994
[4] Cité par Jean-Paul Goux, Mémoire de l’enclave, Mazarine, 1986
[5] Yves Lequin, S.Vandecasyeele, L’usine et le bureau, Presse universitaire de Lyon, 1990, p.22
[6] Idem, p.85
[7] Idem, p.86
[8] Catherine Laroze, Les jardins ouvriers, l’Evénement du jeudi, mai 1990
[9] Patrick Fridenson, Les ouvriers de l’automobile et le sport, Actes de la recherche en sciences sociales, n°79, septembre 1989, p.54
[10] Idem, p.53
[11] Michelle Zancarini-Fournel, l’Usine et le bureau, ouv.cité, p.64
[12] Dans, l’Aventure culturelle de la CGT, ouv.cité
[13] Jacques Rancière, La nuit des prolétaire,
[14] Marius Bertou, ou.cité
[15] Marius Bertou, ouv.cité
[16] Marius Bertou-Jean-Michel Leterrier, L’aventure culturelle de la CGT, Le temps des cerises, VO Editions, 1996.
[17] Cité dans, Jean-Michel Leterrier, Sous l’usine la plage, les 70 ans du Front populaire, Les points sur les i, 2006
[18] Germaine Willard, L’épreuve de la guerre, dans La France ouvrière, Editions de l’Atelier, 1995
[19] Germaine Willard, ouv.cité
[20] François Mauriac, Le cahier noir, Edition de Minuit, 1943
[21] Les jours heureux, programme du CNR, la Découverte, 2012
[22] André Tollet, Ma traversé du siècle, VO Editions, 2002
[23] Idem
[24] Rolande Trempé, L’enfance des comités d’entreprise, colloque du Centre National des Archives du Monde du Travail, Roubaix, 1995
[25] Maurice Cohen, Les comités d’entreprise, Dalloz, 1988
[26] Robert Mencherini, La libération et les entreprises sous gestion ouvrière, Marseille, 1944-1948, l’Harmattan, 2011
[27] Dans La France ouvrière, Editions de l’Atelier, 1995
[28] Jean Magniadas, Le premier siècle, VO Editions, 1995
[29] Dans, Le premier siècle, VO Editions, 1995
[30] Entretien avec Jean Morawski, l’Humanité, 3 juin 2004
[31] Benoit Frachon, conférence des comités d’entreprise, la Revue des comités d’entreprise, n° 1, avril 1948.
[32] Maurice Cohen, Les Comités d’entreprise, Dalloz, 1988
[33] Il faudra attendre 1982, et les lois Auroux, pour que les CE disposent d’un minimum de O,2% de la masse salariale pour leur fonctionnement.
[34] Revue des Comités d’entreprise, N°1, avril 1948
[35] RCE, n°4, juillet 1948
[36] Dans, l’enfance des CE, colloque de Roubaix, 1995
[37] Cahier de l’Iforep, n°81, p.62
[38] Dans, l’enfance des CE, colloque de Roubaix
[39] Idem
[40] Idem
[41] Idem
[42] Cahier de l’Iforep, n°81, p.59
[43] Rolande Trempé, Jean-Michel Leterrier, Construire, CCAS Editions, 1996
[44] Pierre Lemret, Les cahiers de l’Iforep, n°81, p.59
[45] Cahier de l’Iforep, n°88
[46] CCAS info, n°60, novembre 1980
[47] Idem
[48] Roger Gaudy, Les porteurs d’énergie, Temps Actuels, 1982
[49] Cahier de l’Iforep, n°81, p.106
[50] Noëlle Gêrome, Les moteurs de la banlieue, Scandédition, 1993
[51] Jean-Michel Leterrier, les comités d’entreprise, de l’aire de la médiation à l’ère du métissage, thèse de doctorat, 1995, Paris VIII
[52] Jean-Michel Leterrier, Métro, boulot, expos, La Dispute, 1997
[53] Revue des comités d’entreprise, juin 1948
[54] Idem
[55] Jean-Michel Leterrier, La culture au travail, ouv.cité
[56] Dans, Force, n°19, novembre 1949
[57] Jean Vilar, De la tradition théâtrale, Gallimard, 1963
[58] Muriel Weiner, la politique culturelle du CE Crédit Lyonnais 1945/1978, thèse de 3ème cycle, Paris VIII, 1980
[59] Michel Dreyfus, les activités sociales et culturelles à EDF-GDF, Histoire de l’électricité en France, Fayard, 1996
[60] Voir Elsa Triolet, L’écrivain et le livre, ou la suite dans les idées, Editions Aden, 2012
[61] Idem
[62] Marius Bertou, Jean-Michel Leterrier, L’aventure culturelle de la CGT, Le Temps des cerises-VO Editions, 1996
[63] Fernand Léger, fonction de la peinture, Gonthier/Médiation, 1965
[64] Voir les nombreux travaux de Noëlle Gérôme, notamment, La banlieue en fête, Presse universitaire de Vincennes, 1988
[65] Jean Vilar, Cahiers, Maison Jean-Vilar
[66] Jean Vilar, Mémento, Gallimard, 1981
[67] Idem
[68] Jean Vilar par lui-même, Maison Jean Vilar, 1991
[69] Paul Puaux, Le festival d’Avignon, Maison Jean Vilar
[70] Paul Puaux, Avignon en festival, l’Echappée belle, Hachette, 1983
[71] Muriel Weiner, thèse de doctorat « comités d’entreprise : l’action culturelle pourquoi faire, Paris VIII, 1980
[72] Revues des comités d’entreprise, 1er trimestre 1961
[73] René Ballet, présence ouvrière dans les arts, dans la France ouvrière tome 3, Edition de l’Atelier, 1995
[74] Bernard Miège, Michèle Legendre, L’action culturelle en entreprise, Ministère d’Etat des affaires culturelles, ADELS, 1966.
[75] Cité dans, Jean-Michel Leterrier, Métro, boulot expos, La Dispute, 1997
[76] Idem
[77] Idem
[78] Revue des Comités d’entreprise, n°26, mai 1967
[79] Noëlle Gerôme, Le cœur en losange
[80] Culture et monde du travail, colloque maison de la Villette
[81] Cité par Guy Konopticky, Ballades dans la culture, Editions Sociales, 1978
[82] Voir « Grève de femmes », Jean-Michel Leterrier, Les points sur les i, 2008
[83] Robert Linhart, l’Etabli, Editions de Minuit
[84] Catherine de Seynes, On n’a pas le temps, Maspéro,
[85] Hervé Collimard, La culture dans les CE, quel avenir ?, Licence universitaire, 1990
[86] Robert Guillermet, Les yeux du bouillon, Librairie Nouvelle, Lyon
[87] Dans, Ballade dans la culture, Guy Konopnicky, Editions sociales, 1978
[88] Albert Jacquard, Hélène Amblard, Idées vécues, Flammarion, 1989
[89] Voir le colloque du Havre, Ministère de la culture, 1985
[90] Colloque du Havre, Ministère de la culture, 1985
[91] Cité par Jean-François Caré dans Artistes et Métallos, IHS métallurgie, 2011
[92] Idem
[93] La danse du Verre, Chronique plurielle des verriers de Saint-Just, Fédération Nationale Travail et Culture, 1983
[94] Création artistique et monde du travail, Colloque de la Villette