« A quoi sert la consultation du CE ? »
A quoi sert la consultation du comité d’entreprise ?
Présentation du débat
Christophe Baumgarten :
Aujourd’hui le sujet du débat qui nous réunit, est consacré à la consultation du comité entreprise. L’exposé introductif est divisé en deux parties. La première partie consistera à rappeler l’étendue et les limites de ce pouvoir de consultation, elle sera menée par Laurent Milet ; la seconde sera consacrée au droit allemand et plus précisément au pouvoir du conseil d’établissement allemand, elle sera exposée par Fabrice Signoretto.
Les questions auront, on le pressent, un caractère plus politique que juridique ; elles tourneront autour du point de savoir si les élus se satisfont de la conception actuelle de la consultation qui leur permet de rendre un simple avis ou s’ils préféreraient disposer d’un pouvoir consultatif plus contraignant.
Je donne sans plus tarder la parole à Laurent Milet.
Première partie de l’exposé introductif par Laurent Milet
La conception française du pouvoir consultatif du comité d’entreprise est assez simple. La loi reconnaît au comité d’entreprise un contrôle sur la marche générale de l’entreprise, mais il ne gère pas l’entreprise. Le code du travail dit que ses pouvoirs sont seulement consultatifs. Les décisions économiques sont prises par les Directions qui elles-mêmes sont contrôlées par les actionnaires.
Je me suis livré à une petite recherche historique et j’ai trouvé dans « la vie française » de 1946 une illustration de la conception que l’on avait à l’époque du pouvoir consultatif du comité d’entreprise. Je vous en livre la lecture : « les salariés doivent borner leurs suggestions au problème de rendement, de répartition des tâches, d’organisation des ateliers et des bureaux, de confort et de sécurité et de modernisation de l’outillage, ces questions constituant des domaines naturels de la collaboration du capital et du travail. Mais les patrons, « en français dans le texte », doivent conserver le monopole de la gestion » ; autrement dit les salariés doivent être associés à des choix secondaires qui constituent l’application de choix économiques qui ne leur appartiennent pas et qui demeurent l’apanage des pouvoirs de direction.
Alors la question est : est-ce que dans le droit actuel on retrouve cette conception du patronat des pouvoirs du comité d’entreprise ?
Le code du travail prévoit que le comité d’entreprise assure l’expression collective des salariés. Il permet la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.
Le comité formule également et examine sur demande de l’employeur des propositions de nature améliorer :
– les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés,
– leurs conditions de vie dans l’entreprise,
– et les conditions dans lequel il bénéficie de garanties collectives de protection sociale complémentaires.
Autrement dit, si je peux résumer cette conception du pouvoir consultatif, l’employeur peut dire : exprimez-vous sur la gestion de l’entreprise, tant que vous voudrez, mais in fine c’est moi qui décide. Je veux bien tenir compte de vos suggestions en matière de conditions de travail, de formation professionnelle par exemple, mais c’est seulement parce que j’ai conscience que si je n’en tiens pas compte, elles n’auront pas la même efficacité car les salariés se rendront compte que vous n’y avez pas participé.
On retrouve donc bien dans les textes, cette conception patronale initiale du pouvoir consultatif, selon laquelle les questions économiques essentielles ne peuvent pas être partagées avec les élus.
Toutefois, la loi du 28 octobre 1982 a permis de concrétiser un peu mieux les attributions économiques des comités d’entreprise avec la création du 02 % et avec la possibilité de recourir à des experts, mais ses attributions restent consultatives. Cette loi n’a pas reconnu au comité d’entreprise le droit de s’opposer aux décisions de l’employeur.
Des stratégies judiciaires de comités d’entreprise et d’organisations syndicales avec l’aide de leurs avocats ont bien été conçues pour ralentir les décisions patronales, notamment lorsqu’elles étaient destructrices d’emploi. Mais on reste sur la même démarche selon laquelle le comité d’entreprise ne peut pas s’opposer à une mesure patronale même si celle-ci a pour conséquence de réduire les effectifs de l’entreprise.
Finalement les avancées de la loi 1982 ont été contrariées par le contexte socio-économique que l’on connaît depuis, soit la multiplication des restructurations avec leurs lots de plans sociaux (PSE) et l’affaiblissement des syndicats.
Tout cela pour dire que la ligne directrice du pouvoir consultatif des comités d’entreprise a peu évolué dans les faits, depuis la création de ces derniers, sauf dans certains cas qui font exception, où la loi reconnaît aux élus la possibilité de s’opposer à la décision de l’employeur. C’est par exemple le cas de la mise en œuvre d’horaires individualisés ou de mise en place de repos compensateur en remplacement du paiement d’heures supplémentaires. Mais cela reste des cas exceptionnels.
Or, avec le contexte économique encore plus difficile que nous connaissons aujourd’hui, j’estime qu’il est nécessaire de reconnaître aux comités d’entreprise des prérogatives économiques plus contraignantes … alors que nous assistons au contraire à une régression du droit à la consultation.
Prenons l’exemple des PSE. Lorsqu’un accord collectif majoritaire est conclu dans ce domaine, la partie qui concernera le plan de sauvegarde de l’emploi n’est plus soumis à la consultation du CE. Le pouvoir consultatif du CE est en quelque sorte absorbé par l’accord négocié avec les syndicats, alors que par ailleurs on lui donne le droit de nommer un expert pour aider les syndicats à négocier un accord dont il sera dessaisi du contenu. Il faudrait d’ailleurs réfléchir à cette nouvelle articulation syndicat/comité d’entreprise.
Si on veut renforcer le pouvoir consultatif, la question qui se pose est : dans quelle direction. Je vais à ce propos énumérer un certain nombre de points que je soumet au débat.
D’abord faut-il un véritable droit de véto dans les cas graves ? En d’autres termes faut-il permettra au CE de saisir le juge pour que le CE puisse exposer au juge un projet alternatif, permettant aux salariés une prise en considération de leur intérêt. Cette faculté pourrait être exercée dans les hypothèses de restructuration mettant en cause l’emploi des salariés.
Par ailleurs, aujourd’hui, les textes obligent l’employeur, dans les cas de consultations ponctuelles, à dialoguer avec les élus. Selon la procédure bien connue de la consultation, l’employeur doit fournir aux élus une information « précise et écrite » sur ses projets et à répondre aux questions des élus et éventuellement à leur projet alternatif. Mais, les textes relatifs à la consultation n’obligent pas l’employeur à répondre aux élus avant qu’ils ne rendent leur avis sur le projet qui leur est soumis. En pratique, l’employeur demande aux élus de rendre leur avis et renvoie à plus tard sa réponse sur leur projet alternatif. Il y a là éventuellement une réforme à proposer qui consisterait à permettre aux élus de réserver leur avis tant que l’employeur n’a pas donné son point de vue sur les propositions des élus.
Aujourd’hui, les textes ne sont pas clairs, ils ne contraignent pas l’employeur à apporter des réponses précises aux propositions alternatives des élus avant que ces derniers n’aient rendu leur avis.
Autre question peut-on articuler le pouvoir consultatif avec le pouvoir de négociation des OS ?
Elle concerne, à mon avis, surtout les consultations récurrentes comme la consultation sur la situation économique et financière, celle relative à la politique sociale et celle relative aux orientations stratégiques, la question étant de savoir comment les OS vont s’emparer des avis émis par les CE sur ces thèmes de consultation pour les traduire en termes de revendication dans le cadre des négociations obligatoires.
Autre question : faut-il contraindre les réels décideurs dans les entreprises à s’adresser directement aux élus et pas seulement les directions des filiales ou établissements qui ne sont pas les réels détenteurs du pouvoir de direction, les centres de décision étant de plus en plus éloignés.
Et enfin dernière question : comment appréhender les consultations d’anticipation (principalement celle relative aux orientations stratégiques portant sur les 3 prochaines années de l’entreprise) par rapport aux consultations de réaction (celles sur la situation économique et financière et celle sur la politique sociale, notamment). La consultation sur les orientations stratégiques devrait de mon point de vue être abordée différemment, cette consultation pouvant, en effet, se révéler utile lors de consultations postérieures sur des projets de restructuration (dits de réaction) permettant éventuellement aux élus de mettre l’employeur en contradiction avec ses engagements pris et développés lors de la consultation sur les orientations stratégiques.
Deuxième partie de l’exposé introductif par Fabrice Signoretto
Je voulais préciser avant de commencer cette description du droit allemand que je me suis largement inspiré d’un article de M. Patrick Rémy, spécialiste du droit du travail allemand, pour réaliser cette description.
Quelques propos liminaires tout d’abord, pourquoi procéder à une comparaison ? Parce qu’il toujours utile de voir comment on fait ailleurs, pour prendre du recul par rapport à notre propre droit, pour en connaître un peu mieux ses faiblesses et ses avantages et puis, peut-être aussi pour envisager des évolutions de notre propre droit.
Pourquoi le droit allemand ensuite ? Parce que l’Allemagne est la première économie européenne et que ce pays constitue aux yeux de nos décideurs et de nos politiques mais également des médias, la référence en France. On parle ainsi, souvent sans le connaître vraiment, du modèle social allemand.
Notre propos ne sera pas de juger lequel de ces deux droits nationaux est le plus intelligent ou le meilleur, ils ne sont ni mieux, ni moins bien, l’un par rapport à l’autre, ils sont tout simplement différents. Chacun d’eux est le résultat d’une histoire, celle de leur mouvement ouvrier respectif et de leur culture.
Par contre et c’est peut être cela que je voudrais démontrer ce soir, le droit allemand n’est pas moins compliqué que le droit français.
Quelques mots d’abord sur le droit syndical allemand avant de commencer la description du Conseil d’établissement allemand et de ses pouvoirs, les prérogatives des OS en Allemagne pouvant conditionner ou limiter ceux du conseil d’établissement.
En Allemagne, les syndicats représentent leurs adhérents, ce ne sont pas des syndicats représentatifs, ils doivent démontrer qu’ils sont « puissants socialement » vis à vis de la partie patronale, ils doivent donc démontrer qu’ils ont des effectifs adhérents importants. La différence avec le droit français est notable. Il en résulte que les accords signés par les syndicats allemands ne s’appliquent en principe qu’aux adhérents.
Il n’y a pas en Allemagne d’effet « erga omnès » des accords. En pratique toutefois, les employeurs pour des raisons de simplification de gestion vont inclure dans les contrats de travail de leurs salariés des clauses de renvoi à la convention collective qui vont permettre d’appliquer les dispositions de cette dernière à l’ensemble des salariés.
Enfin, dernière précision à propos des syndicats allemands, ils sont surtout positionnés au niveau de la branche, même si au cours des années 90, de nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre de la prédominance de la négociation de branche (en partie corrigée par l’insertion de clauses d’ouverture vers l’entreprise, admise par les signataires syndicaux).
Dans l’entreprise donc, le principal interlocuteur de l’employeur est le Conseil d’établissement, les syndicats n’y étant pas présents. Les membres du conseil d’établissement sont toutefois, dans la plupart des cas, syndiqués, les syndicats participant à la création ou au renouvellement des conseils d’établissement.
Concernant, les pouvoirs du conseil d’établissement, précisons d’emblée que ceux-ci sont difficiles à appréhender.
En effet, dans un certain nombre de domaines, les prérogatives du conseil d’établissement allemand se limitent à un pouvoir d’information/consultation, un peu comme notre comité d’entreprise.
Mais, la loi allemande lui reconnaît aussi un pouvoir de codécision dans d’autres domaines, un pouvoir de codécision partagé avec l’employeur.
Sur d’autres matières enfin, la loi allemande lui reconnaît un pouvoir de codétermination, c’est à dire qu’il va pouvoir conclure des accords collectifs, il va pouvoir négocier avec l’employeur et engager les salariés de l’entreprise, sachant qu’il n’y a pas de syndicat dans l’entreprise.
Il est donc à la fois un organisme consultatif, un organisme de codécision et un organisme de négociation.
Qu’est-ce qu’on entend par pouvoir de codécision ? Un pouvoir curieux pour des juristes français. Dans un certain nombre de domaines, employeur ou conseil d’établissement peuvent prendre l’initiative d’une décision.
Si désaccord il y a, entre l’employeur et le conseil, une instance d’arbitrage est saisie pour départager les deux parties. Ce renvoi à une instance d’arbitrage n’est pas sans nous rappeler certaines dispositions de la loi de modernisation sociale de 2002 qui, sur ce point, n’avait pas été invalidée par le Conseil constitutionnel. Je rappellerai que cette loi de 2002, n’a pas eu le temps d’être mise en œuvre, la défaite de la gauche aux élections de cette année là ayant permis à la droite de revenir sur cette disposition.
Cette instance d’arbitrage allemande est composée de 2 assesseurs patrons, de 2 assesseurs salariés et d’un président (dit) neutre, nommé par le juge du travail si les assesseurs n’arrivent pas à se mettre d’accord pour le choisir.
Ce pouvoir de codécision va s’exercer dans certaines matières, telles que la discipline, ou sur certains facettes de la rémunération (le temps, le lieu et la mise en place de la rémunération), ou encore sur les modalités d’attribution d’une prime, le montant de la rémunération étant réservé à l’employeur ou à la codétermination, c’est à dire à la négociation collective (principalement de branche).
Ce pouvoir de codécision s’exerce également en matière de prévention des conditions de travail (accidents et maladies professionnels). Il n’y a pas de CHSCT en Allemagne, ni de DP.
En matière de temps de travail, on quitte le pouvoir de codécision pour rejoindre le pouvoir de codétermination. Le conseil d’établissement peut ainsi négocier les horaires, les pauses, la répartition des jours de travail dans la semaine ou le chômage partiel, mais pas la durée du travail, celle-ci étant (comme le salaire) réservé à la négociation avec les syndicats, c’est à dire à la négociation de branche.
Sur les questions dites de « politique de personnel », le conseil possède à la fois des pouvoirs d’information/consultation et des pouvoirs de codécision sur le maintien du personnel, le reclassement, les mutations ou sur l’évaluation du personnel par exemple.
En revanche sur les mesures individuelles de gestion du personnel, le conseil a un droit d’opposition.
La loi allemande reconnaît donc dans de nombreux domaines au conseil d’établissement, un droit de codécision, un droit de codétermination ou enfin un droit d’opposition.
En revanche, sur les question dites économiques, le conseil ne dispose plus que d’un droit d’information/consultation, sauf en matière de restructuration comportant des réductions d’effectif. Dans ces cas là, le plan social est codécidé entre l’employeur et le conseil d’établissement.
Comme on peut le constater, les pouvoirs de ce conseil d’établissement sont assez subtils et complexes.
Concernant la cogestion. On en parle beaucoup en France, celle-ci se concrétise par la possibilité pour des représentants du personnel d’être membres du conseil de surveillance et d’avoir ainsi les mêmes pouvoirs que les représentants des actionnaires.
Il y a eu 3 lois sur la cogestion en Allemagne.
La première remonte à 1951. Elle concerne essentiellement les entreprises de la Ruhr où l’on a une vraie cogestion avec un Président de conseil de surveillance neutre. Mais celle-ci concerne de moins en moins d’entreprise.
La seconde date de 1952. Elle reconnaît aux représentants du personnel des entreprises d’au moins 500 salariés un tiers des postes des conseils de surveillance.
La troisième adoptée en 1976 concerne les entreprises d’au moins 2000 salariés. Elle a conçu une cogestion à « fausse parité ». Le nombre de représentants du personnel est égal au nombre de représentants des actionnaires, mais le Président a une seconde voix pour départager, en cas de besoin, les deux intérêts en présence.
Quelques conclusions
Premier constat, le droit allemand des relations collectives n’est pas plus simple que le droit français. Il ne doit pas être toujours facile de distinguer le domaine de la codécision de celui de la codétermination ou encore de l’information/consultation.
Deuxièmement, le droit allemand n’est pas moins contraignant que le droit français pour les directions des entreprises pour autant, ces contraintes juridiques ne semblent pas obérer la compétitivité des entreprises. L’économie allemande se porte plutôt bien.
Enfin, ce petit détour par le droit allemand nous permet également de rappeler qu’en janvier 2002, une loi dite de modernisation sociale avait prévu pour le comité d’entreprise un droit d’opposition qui se traduisait par la saisine d’un médiateur en cas de restructuration entraînant des compressions d’effectifs. Et cette disposition de la loi de 2002 avait été jugée conforme à notre ordre constitutionnel. Autre temps, autre loi, dirons-nous.
C. Baumgarten
Pourquoi ce débat ? Parce que les élus ressentent une grande frustration, car si les élus sont consultés, ce sont les employeurs qui décident. Cela sert donc à quoi d’être consultés ?
C’est le cœur de la réflexion du Cercle Maurice Cohen. Et l’interrogation à laquelle nous devons répondre. Est-ce que ce pouvoir consultatif est suffisant ? Faut-il aller plus loin en prônant la codécision ou la codétermination ou le droit de véto ?
A cet égard, il est intéressant de relever que les droits allemand comme français ne reconnaissent au conseil d’établissement allemand comme au comité d’entreprise qu’un droit à l’information/consultation sur les décisions d’ordre économique arrêtées par l’employeur. Et le droit de codécision du conseil d’établissement concernant le plan social ne constitue qu’un pansement pouvant être codécidé sur « la blessure ».
Mais est-ce qu’on veut et est-on capable de revendiquer autre chose ?
C’est en tous les cas sur cette question que l’on doit avancer.
La salle
Sabine Enders
Avant de s’interroger sur la portée du pouvoir que l’on veut reconnaître aux CE, je voudrai rappeler l’impact négatif des dernières lois ayant été adoptées et en particulier celle qui raccourcie les délais de consultation, d’une part et celle qui permet une fusion des différentes IRP dans l’entreprise, d’autre part.
Je plains aujourd’hui tous les comités d’entreprise qui doivent assumer des consultations dans des laps de temps aussi réduits et des temps de délégation revus à la baisse.
Les élus s’épuisent aujourd’hui, tant le travail demandé aux élus est considérable et encadré dans des délais bien trop strictes.
Surtout, ces derniers ne peuvent plus jouer la carte des délais, comme auparavant. Il faut donc au préalable revenir sur ces nouvelles dispositions.
Laurent Milet
Vous avez tout à fait raison, les lois de 2013 et de 2015 ont inversé la logique antérieure. Aujourd’hui, l’écoulement des délais joue au profit des directions. Ces nouvelles dispositions ont privé les élus de la gestion de la temporalité de leur consultation.
Amine Ghenim
On est, en effet, face à des dangers importants.
Avec la loi de 2013, le rôle du comité d’entreprise est, en cas de restructuration, devenu négligeable. Le débat sur les motifs économiques fondant ces restructurations est devenu aujourd’hui inexistant. Les OS et plus généralement les représentants des salariés sont aspirés par le volet négociation des mesures d’accompagnement social des licenciements économiques. La bataille relative aux justifications des décisions patronales est désormais sous-estimée par les élus, ce qui facilite la tâche des employeurs.
Les OS aujourd’hui se retrouvent dans un rôle d’accompagnement des licenciements économiques. Du coup, celles-ci participent indirectement aux yeux des salariés à la mise en œuvre des restructurations.
D’autres mesures confirment cette tendance, les accords de maintien ou de développement de l’emploi où l’on va retrouver des OS qui vont partager un diagnostic économique permettant une réduction du montant des salaires ou une augmentation du temps de travail. Il y a là une dérive du rôle des syndicats vers une coresponsabilité de la gestion d’une situation économique que je juge très dangereuse.
En effet, en reléguant le comité d’entreprise au second plan et en supprimant les débats qui avaient lieu en son sein sur les difficultés économiques avancées par les directions, le législateur rend plus difficile les contestations judiciaires de ces difficultés.
En effet, lorsque nous, avocats, nous nous retrouvions auparavant à contester devant le juge ces difficultés, nous puisions nos arguments dans les procès-verbaux des comités d’entreprise.
Guillaume Etiévant
La logique des nouveaux textes est perverse. Elle permet en effet de retirer aux élus de CE qui pouvaient antérieurement jouer sur les délais, un moyen de pression pour obtenir des directions des informations. Cette bataille qui se passait au sein du CE n’existe plus et a été remplacée par des négociations dans lesquelles les syndicats ne sont pas en position de force. La LES a ainsi opéré une rupture fondamentale dans l’articulation des pouvoirs et rôles des syndicats et des CE.
Mais à partir de là, il y a 2 débats : qu’est-ce que l’on veut améliorer d’une part et qu’est-ce que l’on fait avec les dispositions légales en vigueur. Certes, le CE ne peut plus bloquer les processus de restructurations, mais il a gardé un accès à l’information très important qui peut permettre de revendiquer sur des bases éclairées. Il peut maintenant rendre un avis sur la politique sociale et rendre un avis sur la situation financière, ce qui n’existait pas avant. Il peut ainsi, avec l’aide de ses experts communiquer avec les salariés sur la réalité sociale et financière de l’entreprise et du coup potentiellement mobiliser.
Le CE doit pour moi, aujourd’hui, plus assumer ce rôle là. Mais pour cela, il faudrait aussi améliorer son droit à l’information en lui permettant d’accéder à l’information qui n’est pas détenue par l’entreprise mais par le groupe dans lequel elle évolue, ainsi qu’à l’information concernant la chaîne de sous-traitance. Enfin, il est indispensable, que les élus aient les véritables interlocuteurs en face d’eux, c’est à dire les responsables du groupe, voir les actionnaires et non plus simplement les responsables des filiales qui ne sont que des exécutants.
Si l’on pouvait réformer tout cela, la situation serait meilleure pour les salariés et leurs représentants.
Vincent « Hublon »
Il faudrait dans un premier temps redonner aux élus les prérogatives dont ils disposaient auparavant.
En bloquant, on pouvait gagner, non pas du temps mais des informations.
Personnellement je suis contre les accords sur les PSE, car cela ne fait que permettre de recueillir plus facilement l’accord de la Directte. Mais cette posture est difficile à expliquer aux salariés.
Malheureusement, on n’est pas parti pour revenir sur cette nouvelle philosophie, certains préféreraient que les CE n’existent que pour gérer les ASC et faire en sorte que le solde annuel des budgets de fonctionnement soit reversé dans le budget des ASC.
Laurent Piolet
Avant de remettre en cause les lois récentes et ce qui n’allait pas auparavant, il faut me semble-t-il pour réfléchir sortir du seul périmètre du CE.
Que signifie consulter ? Ce terme recouvre tout un tas de gradations, et de sens.
La notion essentielle du terme consulter, c’est « porter de l’attention à ».
Et a-t-on depuis 1946 porter de l’attention à ce qu’exprimait le CE, hormis sur les méthodes de changement de machines, la réponse est non.
Si l’on veut bien prendre un peu de recul, on s’aperçoit qu’une démocratie sociale fonctionne par la prise d’avis de l’autre et l’attention portée à l’autre. Nous ne sommes donc pas vraiment dans une démocratie sociale. Et à cet égard, ne faut-il pas peut-être repartir du Préambule de la Constitution qui aujourd’hui n’est pas respecté. On a donc un problème de fond consistant à redéfinir la place d’une représentation salariée dans un dispositif de démocratie sociale. On est au bout d’un modèle issu d’une autre époque.
Il faut donc à mon avis un débat un peu plus large interrogeant notre modèle même de démocratie sociale. On a donc un travail conceptuel important à faire. C’est quoi la participation des salariés à la vie économique des entreprise ?
Christophe Baumgarten
Je voudrais revenir un petit peu en arrière. Je n’ai pas de nostalgie de ce qui existait auparavant.
C’est vrai que le fait de ne pas avoir de délai préfix permettait d’installer un dialogue et d’installer un rapport de force avec le risque judiciaire que l’on faisait peser sur l’employeur. Mais, si l’on réussissait à échanger sur les motifs économiques, en réalité, on pesait sur les mesures d’accompagnement. Il y avait tout un jeu au terme duquel, l’employeur annonçait un nombre de licenciements alors qu’en réalité il avait planifié dans sa tête la négociation.
Et quand on regarde les statistiques : il y avait 50 PSE qui étaient contestés et il y en avait 10 d’annulés. C’est à dire peu par rapport à tous les plans de réorganisations avec suppressions d’emplois.
Il ne faut donc pas rêver, à mon avis, à la situation antérieure, d’autant qu’un certain nombre de représentants du personnel, souvent sur les conseils de leurs experts, se perdaient dans des atermoiements et se demandaient pourquoi ils avaient reporter des délais ce, avec des salariés qui au bout du compte finissaient par prendre l’avis de l’employeur.
Il faut donc refonder comme le disait Laurent la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise.
Pour avancer, il me semble aussi qu’il faut différencier les catégories consultations. On ne peut pas traiter de la même façon une consultation sur un PSE et une consultation sur de nouvelles modalités d’évaluation des salariés. Le poids de l’avis des élus de CE devrait être ainsi être gradué.
Amine Ghenim
Je pense que notre démarche doit s’ancrer dans la réalité. Il faut aussi qu’on soit plus précis.
Par exemple sur les problèmes de réorganisation et d’emploi. L’une des idées par exemple est d’interdire à l’employeur de mettre en œuvre des restructurations avant d’avoir eu l’avis d’un organe mis en place localement qui serait composé de représentants des collectivités locales concernées, de représentants des organisations syndicales, de représentants d’organismes s’occupant de personnes en difficulté, etc.
Deuxième idée, lorsqu’on est en présence d’une consultation sur des problèmes de conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, doit-on attendre l’intervention d’un juge plusieurs mois après la mise en œuvre du projet de l’employeur pour que celui-ci soit considéré comme attentatoire à la santé des salariés. Ne pourrait-il pas y avoir une instance intervenant avant la mise en œuvre et les dégâts que l’on connaît en terme de santé, en cas de désaccord entre l’employeur et le CHSCT.
Une intervenante
La partie information est fondamentale. D’où la difficulté des délais en cas de projets complexes.
Moi en tant qu’expert, je porte une grande attention à l’avis des élus. Je pousse les élus à rédiger leur avis de manière à ce que celui-ci soit motivé, parce que d’une certaine manière c’est une façon de prendre date et, lorsqu’un un an après, la réalité de l’entreprise démontre que le CE avait raison, cela lui permet de le rappeler à l’employeur mais aussi et surtout aux salariés.
Le deuxième point sur lequel je voudrai intervenir c’est la gradation des consultations que Christophe a évoquée il y a un instant.
Finalement ce qui est mis en évidence ces derniers temps, c’est l’importance du travail, la montée en puissance des CHSCT en étant une manifestation. La DUP peut donc être une opportunité, d’abord pour que les instances se parlent davantage et mettre au centre des débats le travail, tout comme la QVT qui est aujourd’hui un sujet de négociation obligatoire.
Tout ceci pour dire que si le législateur est pervers, il ouvre malgré tout des petites fenêtres dont il faut s’emparer.
Michael Canovas
Les modifications législatives de ces dernières années ont affaibli les représentants du personnel dans le rapport de force qu’ils entretiennent avec les employeurs. Il est donc nécessaire de trouver un moyen pour rééquilibrer celui-ci.
Sans moyen de blocage, comme cela existait auparavant avec les délais de consultation, les employeurs tiennent encore moins compte de l’avis des CE.
Il faut que les juristes trouvent aujourd’hui les clefs pour retrouver une capacité de bloquer la mise en œuvre des décisions patronales.
Le deuxième point sur lequel je voulais intervenir, c’est la possibilité de saisir un tiers (une agence d’Etat par ex.) pour ne pas laisser aux directions la faculté de définir les difficultés économiques qui vont permettre des licenciements.
Enfin dernier point, la nouvelle consultation sur les orientations stratégiques, celle-ci apporte peu aux CE, car les employeurs ne sont pas liés. Rien ne les empêche d’en changer. De plus, les chiffres donnés par les directions sont souvent « bidons ».
Sabine Enders
Je reviens sur les délais de consultation qui n’étaient pas auparavant limités. Ce n’était pas pour simplement retarder la mise en oeuvre des décisions, cela a, bien sûr, été fait et ce n’était pas forcément très opportun, mais cela permettait surtout d’exiger de l’employeur une véritable information et du coup d’imposer une vraie discussion.
Et c’est pour cela que j’insiste et que je pense qu’il faut sur ce point revenir à ce qui existait avant la LES.
Par ailleurs, il faudrait peut être aussi penser à renforcer les pouvoirs du comité de groupe, car comme certains l’ont dit ce soir, c’est là que résident les véritables décideurs.
Christophe Baumgarten
Qu’est-ce que vous pensez de la codécision en Allemagne ?
Sabine Enders
Dans les grandes entreprises, l’égalité des sièges reconnue aux salariés, est plutôt une bonne chose, car même si les actionnaires ont en dernier ressort le pouvoir de décision, on est à la source des informations.
Mais il faut ajouter que le droit allemand impose aux représentants du personnel de travailler en toute loyauté avec leur employeur et une obligation de paix sociale et que cette obligation est intériorisée par tous.
Christophe Baumgarten
Pourquoi je suis très réticent à ce droit de véto ?
Parce que pour moi, les intérêts en présence dans l’entreprise sont des intérêts irréconciliables. Le droit de véto est donc une illusion, car on est dans une confrontation et dans un rapport de force permanent.
Alors qu’en réalité, l’aboutissement de cela, c’est soit l’acceptation, soit le judiciaire pour départager les parties. Et il se trouve qu’en tant qu’avocat, je n’ai pas confiance dans le juge.
On va pouvoir assez facilement s’entendre sur les questions de renforcer les droits à l’information des élus et renforcer un débat pour que celui-ci soit effectif, mais là où on va buter, ce sera sur quel est l’aboutissement de ce droit. Est-ce que c’est le droit de donner un avis ou de bloquer une décision d’un employeur ?
Et pourtant, il faudra bien trancher ce débat pour qu’on soit en mesure de dire quelle est notre position ?
Guillaume Etiévant
Sur le droit de véto, je dirai que je suis pour politiquement et contre syndicalement. A long terme, on peut aller dans cette direction, je pense que c’est politiquement intéressant de porter ce droit comme horizon. Par contre défendre aujourd’hui un droit de véto avec un rapport de force tellement dégradé entre le capital et le travail, avec des équipes syndicales qui sont dans de telles difficultés vis à vis des employeurs, ne serait-ce qu’en raison des menaces de licenciement, c’est défendre un droit qui ne sera pas effectif.
Sur les orientations stratégiques, la consultation en tant que telle peut avoir un intérêt, notamment dans les hypothèses de fusion, car c’est difficile pour un employeur d’omettre de dire qu’une fusion ne fait pas partie de sa stratégie. Même si par ailleurs, je pense également que les informations et documents transmis dans ce cadre sont la plupart du temps sans intérêt.
Un représentant du personnel
Le droit de véto peut être un droit intéressant. Il peut permettre de créer une insécurité juridique, et ainsi contraindre l’employeur à réellement négocier, « la taille de la charrette et non seulement son confort ».
Et avec l’ANI de 2013 et la loi LES, en instaurant des délais préfix, on revient à la situation de 1946.
Il nous faut donc retrouver cette insécurité juridique qui amenait les employeurs à négocier.
Christophe Baumgarten
Le problème avec cette revendication consistant à restaurer des mécanismes juridiques permettant de faire peser sur les employeurs une insécurité juridique, c’est que ce n’est pas « vendable », ce n’est pas audible.
Un représentant du personnel
Le véto allemand n’est pas un ancien mécanisme juridique et je pense qu’il pourrait nous servir pour à nouveau contraindre les employeurs à négocier.
Christophe Baumgarten
Pourquoi pas.
Je vais peut être clôturer le débat ici. Et j’espère que les uns et les autres vous allez réagir en vous rendant sur notre site pour commenter et poster des positions ou des avis.
Je vous remercie tous.