La crise sanitaire ne doit pas être un prétexte à la réduction des droits des CSE
Depuis le début de la crise sanitaire liée au COVID-19, le gouvernement légifère intensément, « déverrouillant » tout ce qu’il considère comme une contrainte à la survie des entreprises, notamment en matière de Code du travail. L’action des représentants du personnel qui devrait être considérée comme un apport essentiel dans la gestion de la crise au sein des entreprises est au contraire perçue comme une entrave potentielle à la reprise de l’activité économique. C’est ce qui ressort de l’ensemble des textes adoptés pendant la dernière période. Le cercle Maurice Cohen livre ici son analyse et ses propositions alternatives.
Les principes de la consultation des CSE sont menacés
Plus le gouvernement et sa majorité parlementaire évoquent la nécessité du dialogue social pour assurer la reprise de l’activité économique des entreprises, plus ils réduisent le droit à l’information et à la consultation des élus du personnel. Les dérogations relatives à la consultation des comités sociaux et économiques (CSE) prévues par les ordonnances des 1er et 22 avril 2020, traduisent sans ambiguïté ce fossé existant entre le discours affiché (« la com » ou « les éléments de langage »), les actes et la réalité (les textes législatifs et réglementaires promulgués).
En réalité, le message tacitement adressé aux employeurs est clair : » la consultation des élus n’est qu’une simple formalité, agissez comme bon vous semble », du moins jusqu’au 31 décembre 2020 puisque ces dérogations sont applicables jusqu’à cette date.
Pour le Cercle Maurice Cohen, outre leur caractère dérogatoire, ces textes violent certaines dispositions du droit européen (voir les développements qui suivent). Ils mettent en exergue la méconnaissance de leurs auteurs du fonctionnement réel des entreprises. En effet, si le législateur a prévu que le CSE devait être préalablement consulté sur les projets patronaux relatifs à la gestion et à la marche générale de l’entreprise et qu’il devait disposer à cet effet d’informations de qualité et d’un délai d’examen suffisant, c’est parce qu’il considère nécessaire de confronter les décisions de ce que l’on nomme le « travail prescrit » (c.a.d. les directions d’entreprise) au savoir du « travail réel » (les salariés). Et il nous semble que la situation actuelle, pour exceptionnelle qu’elle soit, nécessite plus que jamais le respect de cette conception des relations sociales dans l’entreprise. Les directions doivent donc plus que jamais être à l’écoute de ceux qui font fonctionner l’entreprise au quotidien, à savoir les salariés.
Le Cercle Maurice Cohen ne peut dans ces conditions que déplorer :
- les dispositions de l’ordonnance du 1er avril 2020 ayant autorisé les employeurs à s’affranchir du caractère préalable de la consultation du CSE en cas de dérogation à certaines règles relatives à la durée du travail (possibilité d’imposer la prise de JRTT aux salariés, dérogations aux durées maximales de travail dans certains secteurs d’activité, etc), l’avis consultatif du comité étant rendu dans ces hypothèses dans le délai d’un mois, donc a posteriori de la mise en œuvre de la décision patronale ; en d’autres termes à un moment où il n’a plus aucun sens , ni portée ni intérêt
- la réduction drastique des délais pour rendre un avis à huit ou onze jours en cas d’expertise (sauf accord contraire) au lieu d’1 ou 2 mois en cas d’expertise, (onze et douze jours pour le CSE central), dès lors que la décision de l’employeur soumise à consultation a pour objectif de faire face « aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 » (Ord. du 22 avril 2020 ; ordonnance et décret du 2 mai 2020) ;
- le raccourcissement également des délais dans lesquels l’employeur doit convoquer le CSE et envoyer l’ordre du jour aux membres de celui-ci à 2 jours au lieu de 3 normalement (3 au lieu de 8 pour le CSE central).
Comme on peut en juger, les élus du comité auront ainsi très peu de temps pour s’assurer par exemple que les conditions d’un retour au travail protectrices pour les salariés sont réunies.
Alors que le CSE et les organisations syndicales devraient être considérés comme étant d’un apport incontournable pour créer les meilleures conditions d’une reprise de l’activité, le gouvernement les marginalise en les réduisant à une simple chambre d’enregistrement. Il prive ainsi de tout effet utile la consultation des CSE en contradiction flagrante avec les engagements européens de la France et en particulier avec la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 qui prévoit « une information et une consultation en temps utile », l’information devant « s’effectuer à un moment, d’une façon et avec un contenu appropriés, susceptibles notamment de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen adéquat et de préparer, le cas échéant la consultation ».
Soulignons également que cette réduction des délais d’information et de consultation des CSE s’accompagne également d’une réduction des délais de réalisation des expertises remettant ainsi de fait en cause le droit à expertise des représentants du personnel, et ce alors que le Conseil constitutionnel a jugé que le droit à recourir à un expert agréé (ancien expert des CHSCT) relevait des exigences constitutionnelles de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail (Cons. Constit., QPC du 27 novembre 2015, décision n° 2015-500).
Cette réduction des délais de réalisation des expertises prive ainsi les représentants des salariés du bénéficie de conseils en matière économique, financière, juridique à un moment où ils en ont le plus besoin.
Certes, on pourra nous rétorquer que toutes les consultations du CSE ne sont pas concernées par les délais réduits à peau de chagrin, ce qui est vrai
Mais, les mois qui viennent, le virus risque de faire des dommages collatéraux qui n’auront rien à voir avec la pandémie. Certains employeurs considéreront que toutes les décisions prises désormais ont pour objectif de permettre de faire face aux conséquences de l’épidémie.
Dialogue social au pas de course donc. Tous les délais réduits s’imposent même en présence d’un accord collectif plus favorable. Les dispositions négociées, tant vantées par ailleurs par les pouvoirs publics depuis des années, sont ainsi écartées par les employeurs qui vont pouvoir s’en affranchir et réaménager les conditions de travail ou réorganiser l’entreprise en se contentant d’une consultation tout à fait formelle.
Enfin, si comme nous l’avons ci-dessus précisé, ces dérogations ne sont applicables que jusqu’au 31 décembre de 2020, les mauvaises habitudes sont, comme chacun le sait, vite prises et elles ont la vie dure. Il y a donc à craindre qu’elles ne perdurent au-delà de la période d’urgence sanitaire, d’autant que les difficultés économiques engendrées par la crise sanitaire, risquent fort de se prolonger au-delà de cette date.
Pour le Cercle Maurice Cohen, la vigilance est donc de mise, d’autant que du côté patronal, certaines voix d’influence (l’Institut Montaigne par exemple) se font déjà entendre pour demander d’aller encore plus loin dans la remise en question des droits des salariés et de leurs représentants.
Les propositions du Cercle Maurice Cohen pour le monde d’après
Pour le Cercle Maurice Cohen, la réussite de la sortie du confinement et de la reprise du travail passe obligatoirement par plus de concertation et de temps consacré à faire remonter par la voix des élus et de leur comité, les questions et les problématiques rencontrées par les salariés. Le gouvernement devrait donc changer de logiciel et comprendre que les directions ont tout intérêt à agir en concertation avec les représentants des salariés pour déterminer les conditions les meilleures d’une reprise de l’activité dans l’intérêt de l’entreprise. L’abandon des mesures dérogatoires adoptées au mois d’avril nous semble donc, à cet égard, indispensables, d’autant qu’elles constituent autant d’entorses aux textes du droit européen et international. Elles devraient d’ailleurs, comme l’a démontré le Syndicat des Avocats de France dans un communiqué en date du 5 mai 2020, pouvoir être remises en cause par le juge si celui-ci était d’aventure saisi.
Le Président de la République ayant appelé à se « réinventer », le Cercle rappelle sa conception de la consultation des CSE et les propositions d’amélioration du droit positif qu’il a déjà exprimées au cours de différentes conférences de presse.
1°) Un véritable droit d’être entendu
Souvent, les interlocuteurs des élus s’avèrent ne pas être les vrais dirigeants de l’entreprise, tout du moins dans les groupes d’entreprise, et ce alors qu’une directive européenne du 11 mars 2002, exige que “la consultation doit s’effectuer « au niveau pertinent de direction et de représentation, en fonction du sujet traité”. Il faut donc exiger des vrais décideurs de l’entreprise qu’ils dialoguent avec les représentants des salariés.
- Il devrait ainsi être reconnu aux élus d’une filiale ou d’un établissement le droit de convoquer les dirigeants de la société mère ou du siège social afin que ces derniers soient leurs interlocuteurs en cas de projet les concernant.
- Par ailleurs, pour donner plus de résonance aux avis, vœux et propositions alternatives des comités d’entreprise, notre législation devrait rendre systématique leur transmission aux organes sociaux des sociétés (CA, CS ou autres dans les SAS), comme c’est le cas pour la consultation du CE sur les orientations stratégiques (article L. 2312-24 du code du travail). L’intérêt de cette procédure est d’obliger les organes de surveillance des chefs d’entreprise à répondre et éventuellement à dialoguer en direct avec les élus.
Et la sanction la plus efficace serait d’interdire toute mise en application des décisions d’une direction avant la réponse dudit organe de surveillance.
2°) Reconnaître aux CE le droit de s’opposer à certains projets de l’employeur
Pour beaucoup, concevoir aujourd’hui que les comités d’entreprise puissent s’opposer à la mise en oeuvre d’un projet patronal, c’est à dire bloquer la mise en oeuvre d’un projet, paraît irréaliste. Pour autant, chez certains de nos voisins, la prise en compte du point de vue des représentants du personnel est moins artificielle que chez nous. La co-décision de la législation allemande en matière de PSE, par exemple, permet ainsi d’établir un rapport de force nettement plus favorable aux élus que notre législation.
Tel que nous concevons, l’exercice de ce droit d’opposition devrait permettre de saisir une commission d’arbitrage représentative des différents intérêts en présence. Elle pourrait être composée d’un représentant de l’État (le Préfet par ex.), de représentants patronaux et syndicaux de la branche d’activité concernée et enfin, de représentants des collectivités locales concernées. Cette commission aurait pour tâche d’évaluer le projet de l’employeur en prenant en compte les différents intérêts en présence, de comparer les différentes options économiques et de rendre un avis. La commission devrait se réunir et statuer dans des délais courts, pendant lesquels le projet ne pourrait être mis en oeuvre. Elle pourrait proposer des solutions alternatives, et au cas où elle constaterait une atteinte grave à des intérêts en présence sans bénéfice conséquent pour l’entreprise, recommander l’interdiction de mettre en oeuvre le projet.
Le Cercle Maurice Cohen